Repoussée d’un an à cause du Covid, la dixième saison d’American Horror Story investit la figure du vampire sous l’influence de Stephen King, et perd en invention formelle ce qu’elle gagne en charge sociétale.
Si la galaxie Ryan Murphy ne cesse de s’étendre pour passer à sa moulinette queer et outrancière des genres aussi variés que le biopic d’artiste (Halston) ou la farce politique (The Politician), American Horror Story, créée avec Brad Falchuk, en reste le soleil noir, centre de gravité éclaté aux marges les plus troubles de leur imaginaire commun. Bien que ses rayons aient quelque peu faibli ces dernières années, l’anthologie d’horreur continue de nous impressionner par sa longévité – dix saisons au compteur, ainsi qu’un spin-off intitulé American Horror Stories, en cours de diffusion – et sa capacité à se réinventer tout en préservant son ADN.
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Initialement prévue pour 2020, sa dixième saison a vu son tournage interrompu à plusieurs reprises en raison de la pandémie de Covid. Qu’à cela ne tienne, c’est un double programme qui atterrit sur nos écrans en cette rentrée 2021, comme un hommage aux séances de cinéma bis des années 1970 et 1980.
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Titrée Red Tide, sa première partie (dont nous avons visionné quatre épisodes), suit l’emménagement d’un écrivain et de sa famille dans une petite ville balnéaire en saison creuse. Chargé de livrer le scénario d’une série policière, Harry Gardner se heurte au syndrome de la page blanche, tandis que sa femme enceinte Doris et leur fille Alma sont harcelées par de sinistres créatures. La rencontre avec un duo d’auteurs fantasques carburant à d’étranges pilules rouges va bouleverser l’équilibre de la petite famille.
On ne sait pas grand-chose de Death Valley, la deuxième partie du programme, si ce n’est qu’elle devrait convoquer l’imaginaire des OVNIS et des extraterrestres, et mettra en scène le couple présidentiel Dwight D. et Mamie Eisenhower. De quoi envisager, comme dans la saison 3 de Twin Peaks, la bombe atomique comme épicentre de l’horreur contemporaine ?
La suite de cet article comporte des spoilers
Après avoir défrisé la maison hantée, les sorcières ou le slasher, le duo s’attaque donc à deux créatures incontournables de l’imaginaire horrifique, l’Alien et le vampire. Car c’est bien autour de ces buveurs de sang que s’articule Red Tide, qui trace un parallèle entre la création artistique et la dévoration, et en assujettit le succès à une forme de pacte avec le Diable.
Filmés dans un style visuel inhabituellement sobre pour un show que l’on a connu plus baroque, les épisodes déclinent le délabrement urbain et le vacillement psychologique des personnages en un camaïeu de gris-beiges que viennent iriser des teintes ocres ou bleutées, et au sein duquel les gerbes de sang font office de déflagrations picturales. Élégant et précis, le découpage maintient l’émotion à distance et confère à l’ensemble une forme de distance glacée.
Si la patte Murphy semble un peu en retrait, c’est pour mieux se nouer à l’une des géographies (physique et mentale) les plus denses de l’horreur contemporaine, celle de Stephen King. En convoquant la figure de l’écrivain en panne d’inspiration et traqué par ses démons, et en la projetant dans un terreau social et urbain en proie au pourrissement, les showrunners s’inscrivent dans le sillage d’une œuvre pour laquelle la tragédie intime est toujours reliée, plus ou moins discrètement, aux blessures d’une nation. Les hordes de créatures décharnées et shootées aux pilules figurent ainsi la crise des opioïdes qui ravage l’Amérique des marges, quand les critères de sélection de leurs proies par les artistes “élus” – sans abris, chômeurs, prostitué·es – métaphorisent le fossé économique grandissant qui ceint le monde des puissants, dont les privilèges semblent sans limite.
En mettant en scène la domination sociale comme processus de dévoration, Red Tide replace la série sur un axe politique après deux saisons plus légères et carnavalesques. Si les péripéties horrifiques se multiplient comme de coutume jusqu’à l’ivresse, privilégiant l’accumulation narrative à la montée en tension, quelque chose semble gripper la mécanique de récit dans cette ville déserte que les personnages principaux semblent les seul·es à sillonner. Où sont passés les humains et le monde réel ?
Les artisans du show ont, à plusieurs reprises, insinué que des ponts seraient jetés entre ses deux parties. L’univers de Red Tide ne serait-il qu’une vaste simulation orchestrée par des Aliens ? À moins que l’intrigue extraterrestre de Death Valley ne soit issue de l’imaginaire dopé au sang d’un des protagonistes de la première partie ?
Quoi qu’il en soit, ce qui relie depuis dix ans les branches d’American Horror Story et lui confère sa singularité, c’est son casting récurrent, ces âmes damnées glissant d’un rôle à l’autre pour en faire vibrer les cauchemars d’une lueur familière, et en perpétuer la délicieuse malédiction.
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