Tourné à Haïti en janvier 2020, Freda nous provient d’un territoire de cinéma peu exploré et d’un pays où la production cinématographique reste très limitée. C’est dans un contexte politique délétère (corruption et affrontements armés, depuis le tremblement de terre qui a ravagé l’île il y a plus de dix ans) que Gessica Généus, réalisatrice et comédienne haïtienne, a dû et pu, avec l’aide des habitant·es d’un quartier de Port-au-Prince, mener à bout le tournage de ce premier long métrage de fiction.
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En un sens, Freda est à l’image de son héroïne qui persiste à vouloir rester dans son pays et de son autrice qui aura bataillé pour imposer à son film la langue créole plutôt que le français.
Freda est un film de résistance, qui nous envoie des nouvelles d’une société en crise et de sa jeunesse noctambule, mais qui se dérobe à tout exposé purement factuel et à la photographie misérabiliste d’un pays et d’un peuple meurtris. C’est un film qui en contient plusieurs (le teen movie, la radioscopie documentaire d’un pays, le drame d’un secret de famille…) et s’ouvre sur d’étranges images censées, on le comprend, figurer les souvenirs traumatiques d’une enfant violée.
L’enfant, c’est la Freda du titre, une étudiante en anthropologie que sa mère préférerait voir travailler et se conformer à quelques normes résiduelles d’un colonialisme encore persistant (“Avec tes cheveux [crépus], tu as l’air d’une vendeuse de rue”, lui dit-elle).
“Freda fait de l’expérience des femmes une expérience autre, un périple, un motif de ralliement”
Dans une bicoque qui sert d’épicerie, petite scène de théâtre filmée, maison de poupée défraîchie, s’organise la vie de cette famille où vivent également Esther, la sœur qui rêve d’Occident, de peau blanche et tente de fuir sa condition en se jetant dans les bras d’hommes riches et Moïse, frère qui jouit de sa place d’homme et sera bientôt sauvé en partant pour le Chili, terre d’immigration pour beaucoup de jeunes Haïtien·nes.
C’est avec une sobriété de trait, un équilibre trouvé dans l’agencement entre la légèreté de ton de la chronique et la violence d’images documentaires montrant le pays en feu, que Gessica Généus ouvre un interstice qui lui permet de regarder la ville et les êtres bouger – comme Freda qui regarde à travers le trou d’un mur de chambre qui lui fait penser que la vie est trop fragile.
S’il est un film de résistance, c’est aussi parce que Freda fait de l’expérience des femmes une expérience autre, un périple, un motif de ralliement qui, dans la dernière partie du film, après une disparition mystérieuse, et dans l’étreinte réconciliatrice entre une mère et sa fille, trouve sa plus vibrante incarnation.
Freda de Gessica Généus, avec Néhémie Bastien, Fabiola Remy, Djanaïna François (Haï., Fr., Bén., 2020, 1 h 29). En salle le 13 octobre.
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