Du cinéma contre le racisme ? L’Etat y croit et finance, via la commission « Images de la diversité », les films de la réconciliation nationale. Bilan de trois années de travail sur le terrain des clichés.
Le « vivre ensemble », qui a fait florès ces derniers mois (où il servait plus de cache-sexe au « vivez comme nous ») s’exprime désormais aussi au cinéma. Il est défendu bec et ongles par un organisme public, l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé) qui, en collaboration avec le CNC, a lancé début 2007 une commission « Images de la diversité ».
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Leur objectif commun : lutter contre les discriminations et promouvoir la diversité au cinéma et à la télévision, via des plans d’aide à la production ou à la diffusion. Un programme de financement public très discret, mais dont on retrouve le label derrière des succès populaires comme Indigènes, Entre les murs ou Neuilly Sa Mère. La publication récente du bilan de son premier mandat (2007-2010) montre déjà les effets sur la production nationale.
2005 : la crise des banlieues anonymes
« Nous sommes très satisfaits du premier bilan d’activité de la commission », confirme aux Inrocks Fadila Mehal, directrice du service culture et information de l’Acsé. Pendant les trois ans de son mandat, la commission « Images de la diversité » a posé la question épineuse –et encore presque inédite– de la représentation de la diversité de la société française dans le champ audiovisuel et cinématographique.
Une question étrange en apparence (pourquoi l’Etat interviendrait-il dans ce domaine ?) mais qui répond, selon Fadila Mehal, à de nouveaux enjeux :
« Au moment des émeutes dans les banlieues en 2005, le président de la République Jacques Chirac avait réuni les dirigeants de chaînes avec le club Averroès [structure informelle qui promeut la diversité dans les médias, ndlr]. L’idée défendue à l’époque était qu’il y avait une méconnaissance dangereuse des banlieues, de la diversité, et des évolutions de la société française, et que les médias avaient leur part de responsabilité. C’est la vieille question du pouvoir des images dans l’inconscient collectif. »
L’Etat décidait alors de créer la commission « Images de la diversité » (dirigée par l’Acsé et le CNC), composée de professionnels du cinéma et de membres issus de la politique ou des réseaux associatifs. « Il nous a fallu d’abord passer par une étape de banalisation : ‘colorier les écrans’ pour témoigner de la diversité », explique sans ambages Fadila Mehal. « Ensuite, nous avons pu travailler sur les contenus. »
L’industrie de la diversité
Depuis son lancement en février 2007, la commission a apporté un soutien financier à 412 projets audiovisuels ou cinématographiques, pour un montant total de plus de 12 millions d’euros. Les fictions cinéma ont bénéficié en moyenne d’un financement de 60 000 euros de l’Acsé, et de 25 000 euros de bonus du CNC.
Les aides de différentes natures (à la préparation, à la production, ou à la diffusion de l’œuvre) ont été allouées à des projets qui répondaient aux critères fixés par la commission : sensibiliser le public aux questions liées à l’intégration et à la lutte contre la discrimination ; témoigner de la réalité des banlieues ; valoriser la mémoire ; l’histoire ; rendre compte des sociétés d’Outre-mer.
« On nous a accusés au départ d’être une commission ‘alibi’, de ne défendre des projets que sur des questions politiques. Or sur les 412 films financés, nous avons découvert de nombreux talents issus de la diversité ou non, soutenu des auteurs confirmés. Nous avons aussi évité l’écueil des films très segmentants, à diffusions confidentielles, et nous avons appuyé de vrais succès populaires », se félicite Fadila Mehal.
Parmi ses réussites les plus notables (en terme d’audience), la commission est intervenue dans le financement d’Entre les murs, La Journée de la Jupe, Indigènes, La Première étoile et Neuilly sa mère ! Des films de qualité discutable, mais qui prouvent au moins, selon Fadila Mehal, l’« ouverture du public sur les questions de la diversité ».
La commission a aussi participé au financement de projets plus ambitieux : Adieu Gary de Nassim Amaouche, récompensé à la Semaine de la critique, Vénus Noire d’Abdellatif Kechiche présenté cette année à Venise ou le très beau Dernier Maquis de Rabah Ameur-Zaïmeche.
Des contenus polémiques
Comment, dès lors, la commission choisit-elle les films, et dans quelles conditions ceux-ci participent-ils vraiment d’une progression sur les questions de diversité et de lutte contre les discriminations ? « La diversité n’est pas un prêchi-prêcha », explique-t-on à l’Acsé, où l’on se défend d’intervenir dans l’écriture des scénarios et dans le choix du casting.
La commission finance des « auteurs », des « points de vue variés », même les plus polémiques. Comme ceux d’Hors la loi ou de Vénus Noire, prétextes à des débats assez rances sur des soupçons d’ »anti-France » ou d’ « anti-Blancs » au moment de leur sortie.
« La confrontation est parfois positive aussi, explique Fadila Mehal. Quelque chose qui est occulté, mal digéré, crée des défiances, de l’ignorance. Hors la loi, Vénus Noire, ce sont des réalités qu’il faut exposer. Nous ne sommes pas dans le pamphlet, la propagande, ou le contresens historique. »
La mémoire pour solder les rancœurs, c’est aussi le programme de l’un des titres les plus édifiants du catalogue de la commission : Gerboise Bleue de Djamel Ouahab.
Un documentaire terrifiant (et à charge) sur les victimes des premiers essais atomiques français dans le Sahara des années 60. Dans le rang des victimes : des vétérans français et des touaregs algériens.
Romain Blondeau
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