Le créateur de “In Treatment” transpose l’univers d’Ingmar Bergman dans l’Amérique contemporaine pour y autopsier un couple au bout de sa vie amoureuse. Un récit à la vérité crue, aussi intense que radical.
En 1973, la télévision suédoise diffusait les six épisodes d’une nouvelle création d’Ingmar Bergman, écrite puis tournée en quelques semaines à la fin de la production de Cris et Chuchotements. Un geste de rage et de libération, auscultant la déchéance d’un couple sur plusieurs années, de la part d’un homme marié six fois dans sa vie.
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Scènes de la vie conjugale allait marquer son époque – et faire augmenter le nombre de divorces dans le monde ! – sous sa forme réduite : un long métrage d’un peu moins de trois heures. Mais c’est bien la série initiale dont l’Israélien Hagai Levi (BeTipul, In Treatment, The Affair) a fantasmé puis réalisé le remake, désormais prêt à se consumer devant nous.
Exploration sentimentale sans complexes
Oscar Isaac et Jessica Chastain remplacent Erland Josephson et Liv Ullmann. L’affaire se déroule au cœur d’une Amérique bourgeoise, avec deux représentant·es a priori infaillibles de l’hétérosexualité la plus installée.
Levi, un quinquagénaire dont la carrière consiste à sonder depuis plus de vingt ans les raisons d’aimer et de désaimer, les possibilités d’aller bien et les abymes qui nous poussent à aller mal, s’empare de ce matériau sans complexes.
Un peu comme si cette histoire “fondatrice” dans sa vie d’homme et d’artiste, selon sa propre expression, pouvait faire partie de son ADN.
Une assise contemporaine du récit
La première décision forte de cette version diffusée sur HBO a été de couper le deuxième épisode. Scenes from a Marriage en compte donc cinq. La seconde, plus importante encore, d’inverser les rôles entre le personnage masculin et le personnage féminin.
Ce virage simple mais radical offre à la série son assise contemporaine en dressant le portrait d’un couple où la femme possède plus que son mari le pouvoir économique – on ne parlera pas du reste, qui appartient au monde interdit des spoilers. Une longue scène devant une doctorante – dans l’original, il s’agissait d’une journaliste – met en place cet échange sans effort.
L’ensemble du récit est éclairé par ce nouvel angle genré sur une histoire qui, chez Bergman, exposait les failles et les violences symboliques (voire physiques) du patriarcat avec une frontalité sidérante.
La révolution sexuelle est achevée mais nous ne savons pas vraiment quoi en faire
Au départ, le mépris souriant du mari pour sa femme était clair, l’insatisfaction profonde de cette dernière également. Ici, les affects circulent tout aussi fort mais différemment, dans un jeu assez fin sur les clichés et les souffrances actuelles autour de l’amour, de la famille et du sexe.
Dans les seventies, la révolution sexuelle était toujours en cours. Désormais, elle est achevée, mais nous ne savons pas vraiment quoi en faire. C’est cela que désigne Hagai Levi avec un certain pessimisme : il est peut-être devenu impossible d’aimer, en tous les cas pas comme nous l’envisagions auparavant en tant que société.
Quelque chose dans l’air nous rapproche collectivement de l’épuisement d’un monde
Durant l’écriture solitaire des cinq épisodes, le livre de chevet du créateur était La Fin de l’amour – Enquête sur un désarroi contemporain de la sociologue franco-israélienne Eva Illouz. Quelque chose dans l’air nous rapproche collectivement de l’épuisement d’un monde – pour le meilleur, peut-être ? –, et ce n’est probablement pas un hasard si, à la fois, Lena Waithe et Aziz Ansari (dans Master of None, saison 3) ainsi que Mia Hansen-Løve (dans son film Bergman Island) se sont aussi référé·es à Scènes de la vie conjugale ces derniers mois.
Scenes from a Marriage s’avère par moments éprouvant à regarder, ou pour le moins difficile, car rien ne nous permet d’échapper à la vérité crue de ce qui est raconté.
Cinq épisodes, cinq heures intense
Même s’il dit avoir voulu modérer la cruauté de Bergman pour filmer un échange plus égalitaire entre ses personnages, Levi respecte le principe immersif de la série originale : montrer deux êtres qui vont au bout de leur désir de parler, même si cela fait mal, de comprendre pourquoi il et elle en sont arrivé·es à ce trou noir fait d’intimité totale et de distance absolue.
Levi ne regarde pas ailleurs et réalise chaque épisode avec le désir d’aller au fond de l’autopsie d’un couple. On peut trouver qu’il laisse parfois Jessica Chastain et Oscar Isaac mener la barque – la performance d’acteur·trice un peu vaine n’est jamais loin –, mais après cinq heures intenses, ce récit universel remporte la mise et laisse derrière lui le goût puissant des amours perdues.
Scenes from a Marriage de Hagai Levi, avec Jessica Chastain et Oscar Isaac. Sur OCS, tous les lundis, du 13 septembre au 18 octobre.
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