Cinq ans avant de mourir d’un cancer, John Cassavetes signait son ultime film. Ours d’or à Berlin, jamais repris en France depuis sa sortie, Love Streams est la quintessence de l’art cassavetien : beaucoup de passion et de travail.LOVE STREAMSavec lui-même, Gena Rowlands, Seymour Cassel, Diahnne AbbottEn 1984, Love Streams remporte l’Ours d’or au Festival […]
Cinq ans avant de mourir d’un cancer, John Cassavetes signait son ultime film. Ours d’or à Berlin, jamais repris en France depuis sa sortie, Love Streams est la quintessence de l’art cassavetien : beaucoup de passion et de travail.
LOVE STREAMS
avec lui-même, Gena Rowlands, Seymour Cassel, Diahnne Abbott
En 1984, Love Streams remporte l’Ours d’or au Festival de Berlin. Pour tous les cinéphiles, la cause est entendue : depuis vingt-cinq ans et son premier film (Shadows), John Cassavetes, avec sa belle gueule et son enthousiasme communicatif, incarne presque à lui tout seul le cinéma indépendant américain. Un cinéma fauché, libre, marginal, moderne mais pas expérimental, qui va contre les règles établies d’Hollywood, où Cassavetes mène en parallèle une belle carrière d’acteur même s’il tourne avec des réalisateurs « sulfureux » Aldrich (Les Douze Salopards), Polanski (Rosemary’s Baby) ou De Palma (Furie). Le cinéma de Cassavetes, comme chacun sait, c’est du cinéma entre amis (Ben Gazzara, Peter Falk, Seymour Cassel) et en famille (Gena Rowlands, son épouse, et même leurs enfants ou les grands-mères si nécessaire). Jean-François Stévenin s’en inspirera. Mais il ne faut pas se tromper : ses amis et son épouse sont de grands acteurs, Cassavetes un scénariste-dialoguiste pointilleux (ses films sont souvent tirés de pièces de théâtre), un metteur en scène exigeant et sans pitié. Ce cinéma, qu’on jurerait improvisé, ne l’est pas du tout. Il ne doit rien au hasard, tout au travail. La naissance de Love Streams a été longue et difficile. A l’origine, il y a une pièce de théâtre écrite par Ted Allan, créée en Angleterre en 1972. John Cassavetes rencontre son auteur, travaille et retravaille le texte avec lui pendant des années. Il monte la pièce à Los Angeles, avec Jon Voight et Gena Rowlands.Quand les producteurs Golan et Globus lui proposent comme ils l’ont fait avec Godard (King Lear) ou Altman de financer l’un de ses films, Cassavetes choisit d’adapter Love Streams. Mais le tournage s’annonce sous les pires auspices : peu de temps avant le début du tournage, Cassavetes perd sa mère et apprend qu’il a un cancer du pancréas. Puis Jon Voight se désiste. Cassavetes va devoir le remplacer, ça ne lui plaît guère (il ne se voit pas dans un rôle de séducteur). Nous sommes au printemps 1983. Ce sera son dernier vrai film (un peu plus tard, il terminera la réalisation de Big Trouble, à l’instigation de Peter Falk), avant sa mort, en 1989, à l’âge de 60 ans. Love Streams, c’est la quintessence du cinéma de Cassavetes, comme un condensé de tous ses films majeurs (Faces, Husbands, Une femme sous influence, Meurtre d’un bookmaker chinois, Opening Night) : Cassavetes filme des gens brisés, des gens qui se détruisent, des gens pas bien brillants, pas même sympathiques, qui nous dévoilent leur cœur et leurs tripes. La mise en scène de Cassavetes, sans répit, recherche les êtres au-delà des personnages et surtout du récit, volontiers inexistant ou antidramatique. Avec Love Streams, quelque chose de nouveau, en plus ou en moins : un élan vital brisé, un désespoir et un sentiment de solitude et de gâchis qui atteignent un paroxysme comme jamais auparavant. Les personnages se noient dans leur vie comme dans l’alcool. Cassavetes, dont le principal sujet a toujours été l’amour, semble soudain douter : l’amour, ça n’est pas si bien que ça, pas si valorisant, pas si épanouissant, parce que les gens en font une monnaie d’échange.
D’un côté, il y a Sarah (Gena Rowlands). Elle aime mais n’est pas payée de retour. Son mari (qui s’est résolu à divorcer), sa fille (qui a préféré la garde de son père) l’ont trahie. Faut-il aimer les gens pour ce qu’ils sont ou pour ce qu’ils font ? Tout le monde connaît la fameuse phrase de Cocteau tirée des Dames du bois de Boulogne de Bresson : « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour », avec son côté judiciaire assez déplaisant. Seulement, les preuves maladroites qu’apporte Sarah ne convainquent jamais personne. Ceux qu’elle aime la trouvent folle. Pourquoi les gens que vous aimez ne vous aiment-ils pas forcément ? Elle ne monnaie rien, Sarah, l’amour qu’elle éprouve pour les autres est un torrent pérenne. De l’autre côté, il y a Robert (John Cassavetes), un très riche écrivain accro à la débauche, qui héberge des prostituées dans sa grande maison (celle de Cassavetes, souvent vue dans ses films). Lorsque son fils d’une dizaine d’années lui est confié, le week-end tourne à la catastrophe.C’est le moment (après une heure de film) où Sarah choisit de débarquer sans prévenir chez Robert. Dès qu’il la reconnaît, dans le taxi qui vient la déposer, Robert se jette dans ses bras. Qui est donc Sarah pour Robert ? Que sont-ils l’un pour l’autre ? On l’apprendra bientôt. A vrai dire, c’est important et, en même temps, ça ne l’est pas tellement. L’important, c’est que Sarah et Robert sont deux âmes égarées qui se régénèrent l’une auprès de l’autre, parce que l’amour qu’ils se donnent est gratuit, n’attend rien en retour. Soudain, le film prend une autre tournure, devient troublant, presque gênant. Cet homme et cette femme, ces personnages, forment un couple qui se confond avec le couple que formaient Cassavetes et Rowlands dans la vie. Il y a entre eux un flot continu d’on ne sait trop quoi, qui dépasse le sexe et l’amour, et qui ne s’éteindra jamais, même s’ils se séparent physiquement. Le film égrène les scènes, et c’est normal : quand il y a eu, il y a, il y aura ou il y aurait de l’amour entre deux individus, ils se font des scènes. A la fin du film, au réveil d’un sommeil agité, un peu guérie sans doute, Sarah part. Mais Robert sait qu’il a son amour à elle, ou le sien pour elle, à jamais, et se fout bien qu’il y en ait des preuves ou non.
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