Si Apple traque le moindre post de blogueur, c’est aussi pour faire taire ses employés.
En janvier 2000, quand Steve Job a débauché Ron Johnson de la chaîne de magasins Target pour lui proposer la direction des Apple Stores, il lui a demandé d’utiliser un pseudonyme pendant plusieurs mois.
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Même dans l’annuaire de l’entreprise, le nouveau patron de la distribution d’Apple apparaissait sous un autre nom. Personne ne devait savoir qu’Apple se préparait à ouvrir des magasins. L’anecdote en dit long sur la culture du secret qui règne chez Apple. Une entreprise qui construit sa communication sur sa maîtrise du suspense.
A chaque fuite, l’entreprise de Steve Jobs se fâche : poursuite en justice de Think Secret, un blog qui répertoriait des rumeurs à propos d’Apple ; descente de police chez le rédacteur de Gizmodo lorsque le blog techno publie des images du prototype de l’iPhone 4 (oublié par un employé dans un bar) ; blogueurs arrêtés lors d’un Apple show par des vigiles qui les forcent à effacer leur carte mémoire.
Le blogueur de CrApple Store qui racontait ses misères de vendeur dans une boutique Apple a rapidement retiré tous ses posts. « Ce n’est pas les blogueurs que tout cela vise mais les employés d’Apple », explique Leander Kahney, auteur d’Inside Steve’s Brain.
Il faut faire comprendre en interne qu’il n’y aura aucune tolérance pour ceux qui parlent. De toute façon, les 46 000 employés d’Apple en savent très peu et la plupart découvrent les nouveaux produits en même temps que le grand public.
Ne comptez pas non plus sur l’entreprise pour répondre aux questions des journalistes. « On n’a rien à dire sur la stratégie de l’entreprise, nous répond-on chez Apple France. On ne parle pas de ce qu’on fera dans quelques années, on est dans le présent. »
Steve Jobs va-t-il rester chez Apple ? « Il y a eu beaucoup d’articles, on ne veut pas en rajouter », répond encore la chargée de com. L’explication est essentiellement économique. David Yoffie, de la Harvard Business School, a estimé que les retombées dans la presse de la sortie de l’iPhone en 2007 avaient généré l’équivalent d’un budget publicitaire de 400 millions de dollars.
« L’activité d’Apple tient autant du show-biz que du traitement de données », observe le blogueur Nicholas Carr, qui voit en Steve Jobs un super impresario. Apple gère la sortie de ses nouveaux produits comme un lancement de film.
Quelques semaines avant un grand raout d’Apple, des blogueurs commencent à spéculer sur ce que révélera Steve Jobs après son célèbre « one more thing » de fin de discours, debout devant le grand écran.
Quelques happy few – le Wall Street Journal, USA Today, le blog Boing Boing – ont reçu le produit en avant-première, après avoir signé un accord de confidentialité, pour pouvoir le tester et préparer une critique prévue pour la date de sortie.
Quand un grand magazine obtient une interview exclusive de Steve Jobs, c’est « généralement en lui garantissant la couverture », assure Leander Kahney. Les médias qui n’auront accès ni au nouveau produit ni à Dieu se rattraperont avec des reportages sur les files d’attente devant les Apple Stores.
Le dispositif est diablement efficace. Une étude conduite aux Etats-Unis par le Project for Excellence in Journalism du Pew Research Center montre que 15,1 % des articles sur les nouvelles technologies pendant un an (de juin 2009 à juin 2010) traitaient d’Apple contre seulement 3 % de Microsoft.
« Même si le système d’exploitation de Microsoft est partout, même si Nokia sort bien plus de produits, ces entreprises ne bénéficient pas, et de loin, de la même couverture qu’Apple », répond Amy Mitchell, auteur de ce travail, quand on lui demande si ce n’est pas simplement parce qu’Apple mérite davantage d’articles si l’on considère l’impact de l’iPod et d’iTunes sur l’industrie musicale, ou les applications de l’iPhone sur les services d’un mobile.
La couverture médiatique d’Apple semble aussi très flatteuse, indique la même étude : plus de 40 % de ces articles suggéraient que les produits Apple étaient innovants et d’une qualité supérieure. Les flops d’Apple sont, eux, plus rarement décortiqués. Qui se souvient du Cube, du Newton ou du MacTV ?
Guillemette Faure
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