Kill your television. Le premier film majeur de Cronenberg s’immergeait déjà dans l’enfer des images pour s’y brûler les yeux.
Il est urgent de revoir Vidéodrome, premier film majeur bien que « bis » de David Cronenberg, à la lumière d’eXistenZ. Il est le premier maillon de ce qui peut passer, avec Naked lunch, pour une trilogie de l’hallucination, de l’exploration de l’homme comme animal technologique, laboratoire sensible. Non pas que les autres oeuvres du Canadien parano y échappent, mais ces trois films sont ses plus évidemment réactifs. Ils sont basés sur un même principe de dénonciation des puissances technologiques ou narcotiques. Dénonciations souvent incomprises tellement elles flirtent avec la fascination même que produisent les images ou les discours du type « la réalité est moins que la télévision ». Pour aussitôt s’en faire l’ennemi. Cronenberg part toujours du plaisir scopique (malsain, en équilibre avec le vide, vraie jouissance donc) pour finir dans le cauchemar le plus abyssal. Ce pourquoi il ne sera jamais Wim Wenders (eau tiède). Il ne dénonce pas depuis le bon côté de la lucarne (Amen), il revient de l’enfer des images. Défoncé, brûlé, à charge de retrouver sa lucidité dans ses récits de voyages jusqu’au bout de la nuit cathodique.
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Vidéodrome, eXistenZ… Qu’est-ce qui n’a pas changé en dix-sept ans ? Une tonne d’obsessions, de phobies que l’on retrouve presque au millimètre : prendre son corps pour un magnétoscope (avaler les cassettes par l’abdomen) ou pour une console de jeux, décimer les ennemis du réel à l’aide d’armes qui prolongent les membres comme des excroissances (au même moment, un génie du graphisme comme Ebroni publiait son Centaure mécanique), une odeur écoeurante de carne putride, une idée précise du virus comme étendue probable des effets captifs d’une image, un catalogue d’objets sexués jusqu’aux fantasmes (une télé vagin dotée des lèvres splendides de Debbie « Blondie » Harry), un goût pour la spirale, le récit piégé, pour la persistance des rêves, pour la confusion. C’est un cinéma où l’horreur gore tout autant que cérébrale perdure.
Qu’est-ce qui a changé, entre-temps ? Le trajet, la distance de plus en plus indistincte entre le spectateur agité de pulsion parkinsonienne et l’écran. Vidéodrome proposait d’enfoncer sa tête dans le tube cathodique (déjà…), Naked lunch explorait le territoire des images mentales qu’un tel geste (désespéré, probablement) suscite, eXistenZ nous filme depuis l’intérieur de l’écran, du ventre de la panique. En 1982, Cronenberg parlait de snuff movies (pornos où les souffrances ne sont pas simulées, où la mort finale est malheureusement réelle) ; en 1999, il passe à l’étape supérieure : le trafic d’organes.
Vidéodrome, Cronenberg ne filme rien de moins que l’image au temps de la programmation. Le pire étant que l’avenir lui donne sans cesse raison. Et s’il était le dernier documentariste ?
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