Entre objet fou et BD psychédélique, un ambitieux roman graphique de l’Américain Dash Shaw.
Inventif et ambitieux, Dash Shaw aime les défis. Après Bottomless Belly Button, où il déployait une tranche de vie toute simple sur 700 pages et avec une grande force formelle, il publie aujourd’hui Body World, récit complexe qui se déploie sur 400 pages. Débuté sur le web, Body World est édité à la verticale dans un album qui se lit de haut en bas pour recréer l’impression de lecture sur ordinateur. Un objet fou, avec ses plans à déplier, dont la forme correspond parfaitement à son contenu psychédélique.
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Dans un futur proche, le botaniste Paulie Panther arrive sur un campus pour étudier une plante mystérieuse. Adepte de substances illicites, il n’hésite pas à tester ses effets sur lui-même ainsi que sur une prof désinhibée et un couple d’étudiants aux relations orageuses. Il découvre que la plante possède des propriétés hallucinogènes incroyables puisqu’elle permet notamment de s’immiscer dans la conscience de son interlocuteur. Surveillé par un être mystérieux à la solde d’extraterrestres, Paulie Panther mènera tout ce petit monde, et lui en premier, à de dramatiques remises en question.
Mélangeant les intrigues des campus novels autour du sport et des rivalités sentimentales avec l’étrangeté placide de La Quatrième Dimension, Dash Shaw crée une oeuvre dense, captivante et, grâce à la variété de ses styles graphiques, aussi psychotrope que les drogues dont il est question.
Dans des planches éclatantes de couleurs, il passe d’une minutie très Chris Ware – pour décrire les feuilles des plantes, le contenu d’une valise, la façon de faire le café ou les règles du « déball » (un sport d’équipe violent) – à des superpositions de lignes, de couleurs et de textures lorsqu’il s’agit de montrer la confusion des sentiments ou des situations, par exemple quand les personnages, sous influence de la plante, « entrent » dans les corps et les esprits des autres.
Tour à tour maniaque et déjanté, Dash Shaw réussit le tour de force de réinventer la SF à la sauce psilo tout en questionnant la multiplicité et la complexité de l’être humain.
Anne-Claire Norot
Body World (Dargaud), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Françoise Brodsky, 384 p., 29 euros
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