Les personnages féminins ont éclairé les productions hexagonales présentées au festival Séries Mania cette semaine.
Cette année plus que les autres, contexte covidé oblige, la dimension française de Séries Mania a pris une place centrale.
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Même si l’âme du festival reste internationale, le rendez-vous lillois (dont le palmarès est annoncé ce jeudi soir) s’est aussi transformé depuis plusieurs années en rampe de lancement des nouveautés à venir. Ce qui donne une idée assez précise à un instant T du paysage des séries made in France, dont on attend depuis des années l’explosion créative sans vraiment la voir venir sur la durée – ce n’est un secret pour personne.
2021 a-t-elle changé la donne ?
On ne criera pas victoire aussi tôt. Mais malgré l’absence quasi-totale des productions Canal Plus (réservées à Cannes Séries, dont la nouvelle édition a lieu en octobre), la variété d’approches et le désir de renouvellement se sont inscrits à tous les étages. Y compris les plus mainstream comme l’adaptation de Germinal, quasi 30 ans après le pensum pompier de Claude Berri au cinéma. Confiée au scénariste Julien Lilti (Hippocrate) et au réalisateur de la belle websérie Skam France David Hourrègue, tous deux éloignés des canons de la fiction française classique, cette revisite de Zola reste extrêmement sage dans sa visée historique et sociale pédagogique, sa volonté d’en mettre plein la vue et de privilégier les têtes connues pour rassurer le public de prime-time, auquel est destiné cet investissement européen à gros budget.
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On croise donc Thierry Godard, ex-Engrenages et Un Village Français, ainsi que Guillaume de Tonquédec, vu dans Fais pas ci, fais pas ça. Mais quelques glissements vers un ailleurs moins balisé ont lieu, notamment autour des personnages féminins. La mère de famille Maheu jouée par Alix Poisson, prend toute sa place à l’égal des hommes, tandis que le personnage de Catherine (Rose-Marie Perreault) a été fortement remonté et même ré-envisagé. L’intrigue émotionnelle de la série est d’ailleurs lancée par le viol subi par la jeune femme en fin de premier épisode, après une séquence frontale assez inédite au vu du contexte grand public.
En dehors de la question tristement contemporaine des violences sexuelles, les histoires françaises de Séries Mania étaient pour beaucoup des histoires féminines, autour de figures de tous âges et de toutes conditions, dans des récits orchestrés bien souvent par des créatrices. Julie Delpy est venue présenter On The Verge, dont l’action située à Los Angeles regroupe quatre amies de cinquante ans aux soucis sentimentaux et professionnels explorés dans une coquille narrative assez libre, entre comédie de mœurs et sitcom auteuriste bien agitée. Les aventures années 2000 des Desperate Housewives semblent bien loin, même si la série de Marc Cherry possède toujours l’aura d’une pionnière quand il est question de domesticité, de charge mentale et de la folie potentielle attenante.
C’est même le sujet de Mytho, dont le début de la deuxième saison – toujours écrite par Anne Berest – était montré avant sa diffusion en octobre. L’histoire d’une épouse et mère jouée par Marina Hands qui s’échappe par le mensonge (une maladie inventée) et se retrouve en grande difficulté personnelle et financière après avoir été découverte. Le portrait de cette quadra paupérisée traverse les premiers épisodes, avec une vision sèche que les cadrés acérés de Fabrice Gobert rendent anti-naturaliste au possible et souvent passionnante. Quelque chose du mystère d’une psyché blessée se dessine, même si un regret apparaît, tant la première saison semblait plus équilibrée. Les histoires racontées semblent éloignées les unes des autres et manquent pour l’instant de liant.
Enjeu du corps et du désir
Deux autres figures féminines ont marqué l’édition 2021 de Séries Mania, des femmes entre 25 et 35 ans incarnées respectivement par Agnès Hurstel dans Jeune et Golri et Ariane Labed dans L’Opéra. La première est une standuppeuse en crise larvée qui rencontre un mec plus âgé qu’elle, la seconde une étoile de la danse menacée de licenciement. Les deux incarnent une forme d’indépendance contemporaine, sexuelle et professionnelle, que les créatrices (Agnès Hurstel elle-même et Cécile Ducrocq) placent au centre du récit. En dehors de quelques exemples isolés, on s’était habitué à ne voir des personnages de filles d’aujourd’hui que par accident en France. Ici, c’est comme si la vague américaine du début des années 2010, celle de Girls et Broad City notamment, parvenait enfin jusqu’à nous. Bien que les deux séries n’aient rien à voir, l’une comédie pure générationnelle, l’autre drame urbain dans un milieu en mutation, à chaque fois, le même enjeu du corps et du désir se déploie, entre contraintes et émancipation à conquérir.
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Être au monde
Si la télé a semblé depuis une quinzaine d’années offrir une place aux femmes de plus de 40 ans que le cinéma ne leur laisse plus, c’est peut-être parce que les créateurs et créatrices ont compris le potentiel des intéressées avec davantage d’ouverture d’esprit. Cela crève les yeux dans la plus belle surprise du festival, Nona et ses filles, première série co-écrite et mise en scène par Valérie Donzelli, comédie absurde dont le mot d’ordre pourrait être ce dialogue du troisième épisode : “Face à l’irrationnel, on va se tourner vers l’irrationnel”. Soit le récit d’un moment étrange de la vie d’une septuagénaire, Nona, qui apprend qu’elle est enceinte et partage bientôt l’étonnante nouvelle avec ses trois filles, des triplées de 44 ans. La première est jouée par Miou Miou, les trois autres par la réalisatrice elle-même, Virginie Ledoyen et Clotilde Hesme. De ce postulat où l’incrédulité se mêle au mystère, Donzelli fait une comédie sur la maternité et la transmission. La question, pourtant, n’est pas seulement de mettre au monde, mais bien d’être au monde, entre femmes dont le but sera finalement de s’apprendre à vivre.
Dans cette ode aux actrices qui sait pourtant inventer des figures masculines franchement neuves – un vieil amoureux transi, un sage-femme “très cul”, dixit le personnage de Clotilde Hesme -, Donzelli revient à une mise en scène minimale qui fait de ce projet le plus proche de son premier film, La Reine des pommes. Avec, en plus, une maturité dans le récit et les thèmes qui n’empêche par la fantaisie de s’exprimer. Nona et ses filles s’immisce en nous comme une belle rêverie féminine, de celles dont on a besoin aujourd’hui.
Germinal, prochainement sur France 2, déjà disponible sur Salto.
On The Verge, à partir du 6 septembre sur Canal Plus
Mytho saison 2, en octobre sur Arte
Jeune et Golri et L’Opéra, disponibles sur OCS
Nona et ses filles, en décembre sur Arte
À voir jusqu’au 2 septembre gratuitement sur seriesmaniadigital.com
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