Produire massivement du best-seller, des livres « prêt-à-tourner » pour Hollywood ? C’est l’ambition de l’écrivain James Frey, qui a constitué un collectif d’auteurs à moindres frais. Le monde de l’édition américain est en ébullition.
En 2004, les mémoires de James Frey, Mille morceaux, s’étaient vendus comme des petits pains. Il y racontait ses années came et désintox. En 2006, Oprah Winfrey l’avait mis en miettes en prouvant que son autobiographie relevait essentiellement de la pure fiction.
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Aujourd’hui, Frey revient auréolé d’un nouveau scandale. Son idée : produire des livres comme n’importe quel produit de masse, à échelle industrielle. Ainsi, l’auteur a décidé d’appliquer à la littérature les techniques de l’écriture collective. Une recette déjà rodée et appliquée par Hollywood pour les séries télé, où des pools d’auteurs se cassent le ciboulot pour pondre dialogues et scénarios au kilomètre.
L’ambition de Frey est de produire un package clés en main pour les sacro-saints rayons « culture et divertissement » des distributeurs américains en tout genre. C’est-à-dire des romans dont l’idée de départ fait l’objet d’un brainstorming, puis qui sont étudiés pour devenir des best-sellers et servir de base quasi prête à l’emploi pour les studios hollywoodiens. Sans oublier toutes les autres déclinaisons possibles, de la télé au merchandising.
Full Fathom Five, c’est le nom du projet, a déjà produit plusieurs succès : I Am Number Four, que les studios Dreamworks sont en train de produire (sortie américaine prévue en février), The Montauk Project et The Other World Chronicles, sur lequel Will Smith a déjà mis le grappin.
Une rémunération des auteurs très opaque
Le concept n’est pas très neuf : il a déjà été appliqué par Jeff Koons et Damien Hirst dans le domaine des arts plastiques, eux-même inspirés par Warhol et sa Factory dans les années 60. En revanche, il est original dans l’édition. Mais la polémique qui s’est déclenchée il y a quelques jours aux Etats-Unis concerne surtout le contrat proposé aux auteurs. Jeunes pour la plupart, donc encore peu habitués à négocier leurs droits, ils doivent accepter de sacrifier beaucoup pour travailler avec l’enfant terrible de la littérature américaine.
Un auteur ne perçoit que 250 dollars (200 euros) payable en deux fois, la moitié à l’engagement, l’autre une fois l’ouvrage terminé, sur lequel il n’aura en aucun cas le dernier mot. Pour ce qui est des droits d’auteur, il devrait toucher 40% de ce que rapporteront les revenus générés par le livre en question ; sauf que la façon dont sont calculés ces revenus semble particulièrement opaque. Et si le livre se vend bien, il y aura peut-être une suite : mais l’auteur initial n’est pas assuré de retravailler pour le projet. Quant à son nom, il apparaîtra sur la couverture… ou pas.
« Je n’ai jamais vu un contrat pareil en seize ans de carrière », confie Conrad Rippy, avocat spécialiste de l’édition, au New York Magazine, qui a consacré de nombreuses semaines de travail et un long article au sujet (avant de se faire voler le scoop par le Wall Street Journal). Le New York Magazine a aussi mis en ligne l’intégralité du contrat Full Fathom Five.
De son côté, James Frey se défend d’être le « vilain » de l’histoire et de vouloir exploiter qui que ce soit. « Ces contrats dépendent de l’expérience des auteurs, et ils ne sont ni plus ni moins violents que ceux signés dans l’industrie du cinéma », clame-t-il dans la presse américaine. L’idée lui serait venue en lisant la série des Harry Potter dans laquelle il voit une certaine « perfection ».
« La série va s’arrêter. Il faut quelqu’un pour prendre le relais. Je me suis dit que ça pourrait être moi », raconte-t-il au Wall Street Journal.
Une démarche purement cynique, un projet conceptuel, ou un mégalomaniaque qui tente encore de faire parler de lui ?
Jean-Vincent Russo
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