Cet artefact produit par Wim Wenders a eu son petit effet culte au tournant des années 80. Tourné en noir et blanc, comportant un grand nombre de scènes et de plans à bord d’une voiture, chiche en dialogues et en événements scénaristiques (un homme part à la recherche de son frère décédé), lesté d’une splendide […]
Cet artefact produit par Wim Wenders a eu son petit effet culte au tournant des années 80. Tourné en noir et blanc, comportant un grand nombre de scènes et de plans à bord d’une voiture, chiche en dialogues et en événements scénaristiques (un homme part à la recherche de son frère décédé), lesté d’une splendide bande-son, Radio On est un road-movie mutique où les paysages, les lieux, les gestes, les regards, les sons parlent beaucoup plus que les personnages – personnages plutôt réduits à des figures au sens où l’entend Godard.
Radio On doit beaucoup aux films d’errance seventies de Wenders bien sûr (Alice dans les villes, Au fil du temps…) et, par effet de capillarité esthétique, aux silences métaphysiques d’Antonioni. Mais il doit aussi et surtout beaucoup au rock’n’roll, et particulièrement à la période postpunk. Car si Radio On est « avec » l’inconnu et parfait David Beames, la wendersienne Lisa Kreuzer ou le Sting pré-stardom (en pompiste fan d’Eddie Cochran – très belle scène qui indique sur quelle généalogie de ruines et légendes est bâti le film), c’est surtout un film dont le titre ne ment pas, avec Kraftwerk, David Bowie, Devo, Ian Dury ou autres Wreckless Eric : soit un mélange de néorock’n’roll vintage et de n’v rock berlinois typique de la croisée des seventies finissantes.
Pour comprendre d’où vient Radio On, film plein de pères et de frères mais sans descendance, il faut non seulement revoir Antonioni ou Wenders, mais surtout (re)lire les articles d’Yves « Orphan » Adrien parus dans Rock & Folk en 1978 : le grand rock-critic fantôme y théorisait l’afterpunk, inventait le concept de növö rock, chantait la diskö machinique et métallique de Kraftwerk et du Bowie période Low/Heroes. Ces articles, de même qu’une partie du livre N’v Vision, sont comme le plan de travail de Radio On. Ou de même que tous les films ont une bande-son, le film de Christopher Petit serait la bande image-son des écrits d’Adrien – Sound & Vision, chantait Bowie.
Tout cela précisé, Radio On ne saurait se réduire à un objet culte destiné aux seuls archéologues de l’histoire du rock et de la critique rock. Le film n’a pas vieilli et produit toujours son effet de coulée glaçante des années du désenchantement, à l’intersection du road-movie et du clip, de la radio et de la bagnole. Le désenchantement, on y est toujours, plus englués que jamais. Aucune vague musicale n’a su reléguer aux oubliettes la pop froide et le rock déjà entendus dans ce film.
Et puis, le minimalisme, l’économie gestuelle et narrative, le noir et blanc intemporel, la solitude, le silence sont autant d’ingrédients qui ne vieillissent pas. Il y a même au début du film une phrase qui pourrait sortir d’un article d’Adrien et servir de mot d’ordre à Christopher Petit : « On est les enfants de Fritz Lang et de von Braun. Tout changement de société passe par les magnétophones, les synthés et les téléphones. Notre réalité est électronique. » Pas mal, non, pour un film tourné quinze ans avant les téléphones mobiles et Internet ? Un film qui tient toujours la route – la moindre des choses pour un road-movie.
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