Sensible, politique et follement ludique, la nouvelle création du studio montpelliérain DigixArt met en scène des ados fuyant la tyrannie. Une éclatante réussite.
Un routier bourru, un jeune génie de l’informatique, une policière en patrouille, une star de la télé. Ils et elles s’appellent John, Alex, Fanny et Sonya, et font partie des personnages que l’on rencontre dans Road 96, la nouvelle création de Yoan Fanise et de ses complices du studio montpelliérain DigixArt (Lost in Harmony, 11-11 : Memories Retold). Au fil des jours, on les retrouve dans d’autres lieux, d’autres situations, on apprend à les connaître. On les voit évoluer, aussi, mais celui ou celle qui change le plus, ce n’est pas eux·elles, car “on” n’est jamais le·la même.
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Un air de familiarité
Road 96 ose un tour de force ludique et le réussit tout en souplesse : repenser le jeu narratif selon les logiques (très à la mode) du rogue-like. Le principe : chaque épopée est différente, les séquences étant générées de manière semi-aléatoire, et chaque échec nous fait recommencer à zéro, mais dans la peau d’un·e autre. C’est ainsi que l’on enchaîne les road-trips et que l’on retrouve John, Fanny ou Sonya à des moments différents de leurs histoires respectives. Avant d’atteindre la fin de l’aventure, dont la forme dépendra de ce que nos alter ego successifs auront décidé et accompli.
Si la route n’est jamais la même, la destination, elle, ne varie pas : c’est la frontière, car les personnages que l’on dirige, tous adolescents, cherchent à quitter Petria, l’Etat très autoritaire dans lequel prend place le jeu et qui, plutôt que l’Afghanistan ou la Corée du Nord, évoque furieusement les Etats-Unis. Toute ressemblance entre le “gros bébé capricieux” qui le préside et un certain Donald T. ne serait d’ailleurs pas forcément fortuite. Pendant que se suivent les tentatives tantôt ratées (et tragiques), tantôt réussies (parfois au prix de terribles sacrifices) de fuir, un compte à rebours nous sépare de l’élection présidentielle. Le tyran porté par des médias aux ordres pourrait-il ne pas être réélu ? Et, d’ailleurs, de quoi rêvent vraiment nos ados : de départ, de réforme (à travers l’élection) ou de révolution ?
De la contemplation à la farce
Si ces trois options structurent le récit, Road 96 se révèle plus complexe et nuancé dans le détail, lors des rencontres avec ses figures récurrentes qui ne sont pas toujours telles qu’on les imagine. Ici, c’est l’audace de ses créateurs qui frappe, leur manière de passer d’un échange sensible à un mini-jeu farfelu (air hockey, Puissance 4, quiz façon Qui veut gagner des millions ?) ou de la contemplation à la farce, évoquant aussi bien la justesse émouvante de Life is Strange 2 que la puissance politique de 1979 Revolution et le sens du rythme de Sayonara Wild Hearts.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur Road 96 : sur son étourdissante bande-son synthwave (The Toxic Avenger, Robert Parker…), sur sa manière de donner une dimension collective au jeu solitaire, sur son art de travailler les signes et de donner du poids à certains mots (“le gouffre”, “la grotte”…), de remodeler le temps, de ne laisser aucun personnage en plan. On se contentera, pour l’heure, de parier qu’il ne devrait pas être loin au palmarès des jeux les plus marquants de l’année.
Road 96 (DigixArt), sur Switch et Windows, environ 20€
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