Voilà dix-sept mois, depuis l’annulation de 2020, que nous attendons Séries mania. Dix sept-mois que la pandémie a placé régulièrement la culture sous cloche, multipliant les frustrations mais aussi les paradoxes. Les séries, idéalement accessibles et domestiques, n‘ont jamais été autant exposées aux regards, occupant une place encore plus centrale dans nos pratiques, comme si leur explosion des vingt dernières années atteignait un pic. Pourtant, l’impression d’un manque demeurait, que le retour d’un festival majeur vient enfin combler. Il va être possible, pendant neuf jours à Lille, de voir des séries et d’en parler autrement que sur les réseaux sociaux, de rencontrer créatrices et créateurs, acteurs et actrices, d’assister à des conférences, de redonner une circulation intellectuelle et charnelle à un genre en pleine mutation.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Les absent.e.s peuvent aussi profiter d’une plateforme en ligne pour vivre une partie de l’événement. Réservables chaque matin à 9h, les projections sont accessibles au même horaire que sur place, puis en replay durant 24h. Des interviews exclusives (Adrian Brody, Clyde Philips, Christian Slater, etc) peuvent être visionnées, ainsi que les rencontres du festival en live (Fanny Herrero, Hagai Levi et d’autres encore).
Avant son déménagement dans les Hauts de France en 2018, le Festival créé en 2010 par Laurence Herszberg a vu défiler une grande diversité d’artistes, notamment américains (de David Chase à Damon Lindelof, en passant par Matthew Weiner) tout en développant son identité axée sur les séries du monde. Autrement dit, celles qui ne viennent pas des tous puissants Etats-Unis et auxquelles la dernière décennie a offert une audience inédite à travers les plateformes. L’édition 2021 confirme cette tendance avec une présence américaine minime, quelques anglais brexités (la série d’ouverture Vigil, par les producteurs de Bodyguard) mais surtout un axe fort situé entre le Vieux Continent et Israël. Parmi les huit séries de la compétition internationale, trois viennent d’Europe du Nord et deux de l’état Juif, une manière cohérente de situer la carte des séries là où elles comptent, innovent et cherchent.
Les soubresauts du monde
Devant les dizaines de séries présentées dans plusieurs sections (Compétition, Compétition française, Panorama International, Séances spéciales, Nouvelles saisons inédites, notamment), on ne sera pas surpris d’apprendre que la marche de la planète telle qu’elle va mal occupe les esprits des scénaristes. L’un des joyaux de la compétition, Anna de l’italien Nicolo Ammanati, adapte le roman éponyme de son auteur qui imaginait en 2016 un monde rongé par… un virus capable de décimer la population adulte. Ne restent que les enfants, livrés à eux-mêmes et ravagés par la dureté des rapports sociaux, la difficulté de vivre en communauté quand le chaos règne. Un sujet ultra contemporain, où affleurent des références à Sa Majesté des mouches et se déploie une puissance visuelle assez remarquable.
Le réel et sa brutalité constitue toujours un horizon. On trouve en compétition une série norvégienne, Furia, consacrée au terrorisme d’extrême-droite, sujet rarement abordé dans les fictions, tandis que Bête noire (Canada, Panorama) revient sur une tuerie de masse commise par un adolescent et cherche à sonder l’origine de sa violence… On surveillera aussi une production israélienne, Jerusalem (Compétition) qui a l’audace de plonger dans le chaos de la ville sainte à travers le point de vue des trois communautés religieuses (chrétienne, juive, musulmane) et en inspectant littéralement ses bas-fonds, son invisible le plus refoulé. Malgré une intrigue policière complexe, la série desserre ses liens avec le genre. Elle devient très vite un polar existentiel où de nombreuses tensions contemporaines sont exposées à travers le destin de quelques hommes et femmes. Ici, géographie, mythologie et politique se chevauchent. Toujours sur un axe politique plus ou moins direct, on attend une série islandaise sur les dégâts du libéralisme dans un petit village de pêcheurs (Blackport, compétition), une nouvelle adaptation de Germinal pour France 2 et un ovni venu de Turquie tout simplement intitulé Hamlet – le récit le plus 2021 qui soit ?
Mieux vaut en rire
Histoire de contrebalancer la noirceur objective de l’époque, Séries Mania a la bonne idée de consacrer une thématique au rire, à travers plusieurs projections et interventions consacrées à l’influence du stand up depuis plusieurs décennies – on se souvient évidemment de Seinfeld…. La première série d’Agnès Hurstel, Jeune et Golri, (OCS) est présentée en avant-première et promet une héroïne quadra d’un âge mental proche de cinq ans qui se retrouve subitement en charge d’une petite fille avec son nouveau mec.
La brillante créatrice de Dix Pour Cent, Fanny Herrero, vient évoquer lors d’une rencontre sa série Drôle, à découvrir dans les mois qui viennent sur Netflix. Le sujet ? Les aventures parisiennes de plusieurs comiques en quête de succès, mais aussi un portrait de la société française à travers son versant fait de punchlines, de galères d’argent et d’amours contemporaines. Une attente majeure. A travers des cartes blanches à plusieurs artistes de standup français.e.s comme Agnès Hurtel, Kyan Khojandi, Nora Hamzawi, Fadily Camara et Alex Ramirès, plusieurs bijoux de l’humour sur petit écran sont à (re)voir : Everybody Hates Chris, Curb Your Enthusiasm, Broad City, Crashing, Ramy, This Way Up, Master Of None notamment.
Les séries attendues de l’automne
Si la fonction d’un festival consiste à saisir un moment précis de la production internationale et un état esthétique, Séries Mania a su également depuis son arrivée à Lille servir de rampe de lancement, médiatique et critique. Cette année, spécifiquement, le contingent français s’impose avec force puisque la majorité des séries hexagonales les plus attendues des mois à venir sont présentes à Lille, à commencer par la conclusion en trois épisodes de 45’ de la création de Sullivan Le Postec consacrée aux luttes LGBTQI, Les Engagés : XAOC qui se déplace de Lyon jusqu’à Bruxelles. Un rare exemple de série française communautaire et généreuse, qui devrait on l’espère faire des petit.e.s et sera diffusée avant la fin 2021 sur Francetv/Slash.
Egalement attendue, L’Opéra de Cécile Ducrocq, sur cette grande institution française, fait envie, tout comme la très bonne série de Julie Delpy sur des quinquas de Los Angeles, On the Verge, qui débute sur Canal Plus le 6 septembre. Arte, de son côté, débarque en force dans le Nord avec plusieurs propositions désirables. D’abord la deuxième saison de l’excellente Mytho par le duo Fabrice Gobert/Anne Berest, sur l’enfer ouaté de la vie familiale du point de vue de la charge mentale d’une femme – que joue Marina Hands – puis une mini-série fantastique, La Corde, créée par Dominique Rocher, où un groupe de scientifiques en Norvège se retrouve en proie à un étrange phénomène.
Mais la plus intrigante proposition concerne le surgissement de Valérie Donzelli (La Guerre est déclarée) dans le monde des séries, avec Nona et ses filles, une dramédie dont le point de départ dessine une approche singulière du thème de la maternité : à 70 ans, Nona (Miou-Miou) tombe enceinte et gère cette étrange affaire avec l’appui de ses trois progénitures, interprétées par Virginie Ledoyen, Clothilde Hesme et la réalisatrice elle-même. Avec la version contemporaine de Scènes de la vie conjugale drivée par Hagai Levi (président du Jury de la compétition, ce dernier vient également teaser les festivaliers sur sa création pour HBO), nous voilà devant ce que les séries promettent de plus étonnant, vivant et curieux. Que demander de plus ?
{"type":"Banniere-Basse"}