Avec L’Acrobate, fascinant film-tango, il est urgent de redécouvrir le rare Jean-Daniel Pollet et son interprète Claude Melki, le Buster Keaton du Sentier. L’histoire commune (cinq films en vingt ans) d’un cinéaste méconnu et de son interprète de prédilection Jean-Daniel Pollet et Claude Melki a commencé de façon étrange. En 57, alors qu’il […]
Avec L’Acrobate, fascinant film-tango, il est urgent de redécouvrir le rare Jean-Daniel Pollet et son interprète Claude Melki, le Buster Keaton du Sentier.
L’histoire commune (cinq films en vingt ans) d’un cinéaste méconnu et de son interprète de prédilection Jean-Daniel Pollet et Claude Melki a commencé de façon étrange. En 57, alors qu’il fait son service militaire au cinéma des armées, Pollet cherche à filmer « l’ennui du dimanche ». « Après avoir cherché du côté de la salle Wagram, de Vincennes, je suis tombé sur la guinguette de Nogent, Chez Max. C’est en visionnant les rushes qu’un jour j’ai remarqué Claude Melki… Je l’ai recherché, lui ai parlé et j’ai commencé à élaborer à partir de lui une fiction dans ce cadre des bals du dimanche. » De cette rencontre, qui doit tout au hasard et à la captation accidentelle d’un corps singulier, va naître un premier film splendide, Pourvu qu’on ait l’ivresse… Dès son second court métrage (Gala), Pollet réutilise Melki, à l’origine tailleur du Sentier, et invente le personnage de Léon, l’éternel timide à l’allure « keatonienne ». Pour ce tandem digne de Truffaut/Léaud, trois films suivront : Rue Saint-Denis (le sketch de Paris vu par…), L’Amour c’est gai, l’amour c’est triste et enfin, en 76, cet Acrobate qu’Arte a l’excellente idée de rediffuser.
Lors de la rétrospective que lui a consacrée la galerie du Jeu de Paume, Pollet précisait son utilisation du personnage : « Après avoir fait de Melki, dans L’Amour c’est gai, l’amour c’est triste, un perdant, je me suis dit que j’allais en faire un gagnant : un nageur de brasse coulée, un haltérophile bidon… Finalement, j’ai voulu en faire un danseur de tango. J’ai présenté Melki à Georges Firdman, le professeur de danse, sujet de mon court métrage Georges et Rosy. La question était : est-ce que Georges pouvait initier Melki au tango ? Il a demandé quinze jours pour voir si c’était possible. Alors, Melki a fréquenté assidûment le cours pendant deux semaines, au bout desquelles Georges m’a dit qu’il pouvait effectivement en faire un champion, mais qu’il fallait un an ! Un an après, le scénario était prêt et Claude était devenu un grand danseur de tango : le tournage pouvait débuter. » A la vision du film, on comprend mieux ce souci de ne pas tricher, cette nécessaire adéquation entre le corps de l’acteur et le parcours de son personnage. En apprenant le tango avec le vieux professeur qui joue son propre rôle dans le film, Melki ne sacrifiait pas au goût de la performance, il se contentait de rendre possible l’enregistrement cinématographique de sa propre transformation. Au début de L’Acrobate, Léon est un modeste garçon de bains-douches, le souffre-douleur favori des masseurs et de la clientèle de l’établissement, bizarrement appelé le Fjord. C’est un corps en trop. S’il s’assoit, il tombe aussitôt. En constant déséquilibre, sa maladresse le protège du monde extérieur tout en l’isolant. Petit frère français de Buster Keaton, avec des touches de Charlot, Melki affiche en plus par rapport à ses devanciers une incapacité à maîtriser la parole. Quand il essaie de draguer une cliente en lui demandant son nom, elle répond « Pas de familiarités, s’il vous plaît ! » Pire, personne ne le remarque : « Vous êtes nouveau ? Non, ça fait douze ans que je suis là… » Pour accéder à l’existence, Léon doit devenir le meilleur interprète de sa différence. Il lui faut trouver son art. Il apprendra donc à danser le tango. Métaphore géniale et parodie mordante de l’ascension sociale et de l’accès à l’amour, la danse le libère de la pesanteur. De pantin désarticulé, il devient maître du pas de deux. Du coup, les femmes l’ont dans la peau, Léon. Avant, même les putes n’en voulaient pas ; maintenant qu’il semble voler au-dessus des parquets cirés, l’acrobate jongle avec ses conquêtes.
Créateur d’une forme inédite de burlesque, Pollet suit les couples sur la piste avec une caméra à l’élégance aérienne. En partant d’une base désuète et populaire (les bals, les putes et les petits métiers de Paris), il invente un cinéma qui ne doit rien à personne. Toujours drôle, mais ne cédant jamais à la facilité ou à l’outrance, le film déconcerte par ses brusques ellipses, ses sautes d’humeur et ses changements de ton. Comme son merveilleux interprète, Pollet prend tout son temps et adopte le rythme à la fois saccadé et harmonieux de ses danseurs. Comme eux, malgré ou à cause de ses ralentissements et de ses accélérations, L’Acrobate ne se désunit jamais. Fascinant film-tango, il épouse son sujet avec une grâce souveraine.
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