En se risquant à écrire sur la folie de son propre frère, Alexandre Labruffe lui redonne cette part d’humanité que plus personne ne lui accorde.
Certains sujets sont particulièrement difficiles à écrire. Ainsi la maladie mentale de son frère, auquel l’auteur de Chroniques d’une station-service s’attaque dans ce troisième livre, qui est sans doute son plus beau, son plus fort à ce jour. Il décrit la famille impuissante, le désarroi et l’effroi face à ce frère aîné qui fabule, vole ses affaires et va jusqu’à lui prendre son passeport, usurper son identité.
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Il tente de percer l’énigme, infernale à vivre pour les siens, qu’est devenu Pierre-Henri, PHL ou autre encore, car il s’invente sans cesse de nouveaux noms. “J’ai toujours pensé qu’il était un peu parano, qu’il se protégeait du dehors à l’excès. Emprunter d’autres identités pour échapper à la société, sa machinerie. Emprunter d’autres identités pour fuir la sienne.”
Une écriture par fragments
La folie de PHL éclate violemment un jour à la figure de leur père, chez lequel se rend la police. Son fils est accusé d’enlèvement, séquestration en bande organisée, participation à une association de malfaiteurs, blanchiment et escroquerie. “Séquestration de quoi ? De pelleteuse ? Évidemment.” Le burlesque vient parfois sublimer le drame, comme dans la scène où des huissiers poursuivent le pauvre narrateur pour un emprunt fait par PHL en son nom.
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La meilleure façon que trouve Alexandre de résister face à ce que son frère lui fait subir est d’écrire absolument tout, ne rien cacher de ses sentiments face à cette situation invivable, de sa peur chevillée au corps que le pire arrive à son frère, et aussi de son envie, parfois, qu’il disparaisse pour de bon.
Il est pourtant si touchant ce frère, dans sa maladresse loufoque, son irrationalité poétique
Il écrit par fragments, épouse le rythme auquel surgissent et se mêlent les souvenirs complices d’enfance comme les traumatismes, impossibles à dépasser, des exactions que lui a fait subir Pierre-Henry. Il est pourtant si touchant ce frère, dans sa maladresse loufoque, son irrationalité poétique, sa verve lorsqu’il se met à raconter l’histoire fabuleuse qu’est sa vie, les rares fois où il revient vers les siens, avant de s’évanouir de nouveau vers on ne sait où.
Ce Wonder Landes (en références aux Landes, terre d’origine de la famille Labruffe) interroge ainsi deux des plus grands mystères de l’existence, celui de l’identité de chacun·e et celui de la folie, et leur cocktail explosif quand ils sont liés, non par un acte volontaire, mais par les liens du sang. S’il pousse à désespérer de l’homme, ce grand livre fait aussi croire au pouvoir réparateur des mots.
Wonder Landes d’Alexandre Labruffe (Verticales), 288 p., 19 €. En librairie le 19 août
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