En cinq ans à peine dans le monde de l’art, Cyprien Gaillard s’est imposé parmi les artistes phares de la jeune scène internationale. Portrait d’une bombe explosive, lauréat du Prix Marcel Duchamp 2010.
Pendant trois ans au moins, de 2006 à 2009, il a parcouru le monde dans tous les sens, de Angkor à Glasgow, de Pittsburgh à Moscou, des carrières de marbres de Carrare aux sites incas du Mexique, à la recherche de tours démolies, de pyramides aztèques, de grottes géologiques, de villes américaines en complète déshérence, de brutales architectures soviétiques, de pierres tombales, de HLM en cours de rénovation, de ruines anciennes, récentes ou encore à venir dans les quartiers de banlieue promis à la destruction.
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Partout il a photographié, inventorié et classé ces formes abîmées tel un archéologue du passé et du futur, inlassablement penché sur la ruine du monde. Le fruit de cette immense enquête, intitulée Geographical analogies, ce sont plus de 900 polaroïds soigneusement placés sous vitrine, comme un entomologiste épingle sous verre ses précieux papillons.
Une entreprise d’autant émouvante, que sous les vitrines, les 900 Polaroïds deviennent de plus en plus délavés, blanchâtres, s’effacent avec le temps, promis eux aussi à une ruine inéluctable.
L’histoire immémoriale de la destruction
Exposés l’an dernier au Frac Champagne-Ardenne de Reims, à Kassel en Allemagne, à Bâle en Suisse, et actuellement au prestigieux MOMA de New York, les Geographical Analogies sont un vrai chef-d’œuvre, immensément ambitieux, qui dépasse les bornes de l’art contemporain en visant le champ élargi d’une histoire immémoriale de la destruction.
Composé par un artiste qui n’a pas encore 30 ans, né en 1980, installé aujourd’hui à Berlin, jeune lauréat du Prix Duchamp 2010, mais qui en impose déjà : Cyprien Gaillard.
Une bombe dans le paysage : c’est ainsi qu’on pourrait le définir. Pas seulement pour sa belle gueule d’ange abîmé, pour son aisance à circuler aussi bien dans le monde branché de la mode dont il fut à ses débuts une petite frappe, s’amusant à superposer les marques de mode les unes sur les autres.
Pas seulement pour sa trajectoire fulgurante d’artiste international, exposé en moins de cinq ans partout dans le monde. Et pas seulement non plus parce qu’avec lui, lancé dans le monde comme un chien fou dans un magasin de porcelaines cassées, tout peut très vite « partir en live » et prendre les allures d’une épopée sauvage.
Comme ce court voyage en train au bout duquel les CRS nous attendaient à la gare, de retour d’une expo à Reims où entre beuverie et fumoir la SNCF avait assisté au retour inopiné du wagon fumeurs. Comme cette nuit à Moscou où Cyprien déboula passablement ivre dans la chambre d’un ami artiste, deux bouteilles de vodka à la main, pour l’emmener voir en profonde banlieue « le plus beau terrain vague du monde« .
Ou comme cette nuit vandale et poétique du 14 juillet 2007 passée sur l’île de Vassivière, orchestrée par Gaillard comme une œuvre d’art à part entière : où l’on vit, comme dans un film ou un hallucination collective, l’intérieur d’un donjon ravagé par le feu, des arbres morts projetés comme par une tempête contre le centre d’art, le son planétaire du musicien Koudlam résonnant dans la forêt, des silhouettes furtives, fumigènes rouges à la main, courant parmi les arbres, entre l’émeute ou la rave…
Au vue de cette vie intense, rien d’étonnant alors à ce que son œuvre ait fait une irruption violente dans le champ de l’art, à coups de fumées d’extincteurs balancés en pleine campagne.
Soit un acte de pur vandalisme (les premiers extincteurs ayant été volés dans les lycées ou des lieux publics), mais teinté de romantisme allemand, qui revisitait le genre désuet de la peinture de paysage par une action grandeur nature, proche du Land Art.
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