L’écrivain italien Niccolò Ammaniti avait imaginé une pandémie bien avant celle qui nous frappe actuellement. Une réussite sérielle autant qu’une réflexion sur les différents âges de notre vie.
Un léger frisson nous parcourt l’échine durant les premières minutes d’Anna. Le genre de frisson qui ne s’oublie pas. Car la série de l’écrivain italien Niccolò Ammaniti, adaptant ici l’un de ses romans sorti en France en 2016, décrit un monde attaqué par un virus qui décime les adultes et laisse la vie sauve aux enfants, à leur tour condamné·es au moment de l’adolescence. Une forme d’incrédulité face à tant de désespoir domine de chaque côté de l’écran.
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Du nôtre d’abord, puisque la structure narrative ne laisse aucune place au doute : les scènes où apparaissent des adultes sont des flashbacks du monde d’avant, quand le temps présent de la série se joue après l’apocalypse. On ne voudrait pas y croire mais c’est ainsi : la joie a disparu.
Chez les personnages eux-mêmes, quelque chose se déploie également, similaire à un déni. Un type explique à sa femme que la maladie qui les menace n’est qu’une “grippette” (!) avant de mourir presque sans sommation après une vilaine toux.
Le monde est devenu une jungle
Fin du flashback. Les survivant·es, des gosses livré·es à eux·elles-mêmes, comprennent que rien ne sera jamais possible que l’oubli de leurs réflexes d’enfance. Le monde a glissé sous leurs yeux, il est devenu une jungle où règnent des chef·fes sans merci et des rituels sans limites.
Pour éviter toute confusion, le créateur nous informe via un carton sur fond noir que le tournage d’Anna a été interrompu par la pandémie. Tout était scénarisé avant que le mot Covid n’entre dans nos conversations quotidiennes. Nous ne sommes pas devant une série qui commente ou twiste l’actualité, et c’est tant mieux.
Anna a senti quelque chose et tracé sa route. Son imaginaire fructifie dans une dimension plus large : l’expérience humaine de la désolation, la façon dont une communauté se désagrège en deux temps et trois mouvements, la sauvagerie qui naît. Il y a chez Niccolò Ammaniti une forme de violence assez sidérante, alors même que sa série évoque avant tout des enfants et pré-adolescent·es.
Cette violence n’est que rarement figurative, plutôt psychologique et atmosphérique, même si certains épisodes comme le troisième – sur les six que compte la série – inventent des mises en scène lugubres qui exposent tout le mal que les enfants peuvent se faire entre eux et elles dans un monde sans loi.
Proche du baroque
La touche de Niccolò Ammaniti consiste à rendre la dureté fondamentale de son travail plutôt accessible, sans se résigner à en simplifier les enjeux. La manière dont Anna noue et dénoue son récit de famille et de survie, structuré autour d’une jeune femme à la recherche de son petit frère, ne touche jamais au maniérisme contemporain des séries dites sérieuses qui paraissent parfois prendre un certain plaisir à se montrer illisibles, vaporeuses, voire pompières.
Si maniérisme il y a ici – nous sommes même proches du baroque –, celui-ci concerne plutôt l’aspect visuel. Comme pour sa série précédente Il Miracolo (qui nous semblait moins aboutie), Ammaniti a pris en charge seul la réalisation. Pour un artiste venant de l’écrit, on peut se montrer surpris par l’ambition d’Anna dans le style, l’aisance de son créateur avec la caméra.
Si quelques scènes touchent à un symbolisme un peu lourd, l’ensemble est mu par un désir de filmer et de trouver des angles neufs qui fait plaisir à voir. Ammaniti a la capacité d’inventer des images fortes, comme celle qui nous restera longtemps en mémoire d’un enfant embrassant sa mère à travers la paroi de verre d’un casque de cosmonaute. Un symbole déchirant de l’époque.
Le monde et l’Italie (presque tout a été tourné en Sicile) vus par le créateur quinquagénaire ressemblent à un immense cimetière où pousse la mélancolie enfantine, où le désir naît des ruines d’une société moderne arrivée à sa fin, où quelque chose semble possible si l’on accepte la mort, la putréfaction et si l’on croit au pouvoir des histoires.
C’est le sens des derniers moments, peut-être un peu attendus mais qui parviennent à échapper une fois de plus aux clichés. Voici une série assez unique, dont même les imperfections nous touchent.
Anna de Niccolò Ammaniti avec Giulia Dragotto et Alessandro Pecorella. Sur arte.tv à partir du 10 septembre. Le roman éponyme ressort aux éditions Grasset
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