Les vingtenaires et les trentenaires sont de plus en plus nombreux·euses, ces dernières années, à adopter un régime végétarien ou végan. Et pourraient bien influencer leurs aîné·es.
Il arrive que l’air du temps se renifle dans les publicités. Ce dernier se balade à coup sûr dans la nouvelle campagne de Burger King, diffusée en mai dernier. Le spot nous replonge dans les années 1990. Une famille est en quête d’un burger “sans viande”. La réponse du serveur est immédiate: “Jamais de la vie, vous êtes chez Burger King!” Changement d’époque, nous voilà en 2021. Même famille, même demande: cette fois-ci, le Veggie King, un burger avec un “haché végétal”, est au menu. Et ce slogan de conclure la pub: “Il n’y a que les **** qui ne changent pas d’avis.” Quand des géants du fast-food se mettent à proposer des alternatives végétariennes, on est en droit de se dire qu’il se passe quelque chose.
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Si la part de végétarien·nes reste encore aujourd’hui marginale en France –seulement 5,2 % de la population selon une enquête Credoc de 2018 pour FranceAgriMer et l’OCHA–, elle augmente cependant sensiblement au sein des jeunes générations. D’après une étude Diplomeo publiée en décembre dernier, 8 % des 16-25 ans sont végétarien·nes ou végétalien·nes. Et les trentenaires ne sont pas en reste, représentant également une part importante de celles et ceux qui bannissent désormais les animaux de leur assiette.
Génération Netflix
Cowspiracy, Seaspiracy, The Game Changers, A Life on Our Planet: il n’y a pas un·e végétarien·ne interviewé·e pour les besoins de cet article qui ne cite l’un de ces documentaires diffusés –plus ou moins récemment– sur Netflix pour expliquer son déclic végétarien. Ces films percutants et engagés, qui abordent l’impact de l’élevage intensif et de la pêche sur l’environnement ou s’intéressent à l’avenir de la planète, sont souvent des déclencheurs chez cette génération streaming.
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Pour Sarah, 37 ans, directrice France de la plateforme change.org, le visionnage d’un de ces docus a été décisif. D’abord sensibilisée à la cause animale par l’intermédiaire de son métier –“Je travaille avec beaucoup d’activistes, il m’est arrivé de bosser sur des campagnes sur la production bovine et son impact sur l’écosystème et les forêts, indispensables pour lutter contre le réchauffement climatique”–, la trentenaire a commencé par ne plus manger de viande rouge. Et puis, il y a eu The Game Changers: “J’ai vu ce film, qui montrait en quoi le fait de manger des animaux avait un impact négatif sur notre organisme. Le végétal se désintègre dans notre estomac tandis que la viande, elle, pourrit à l’intérieur. Depuis, je ne supporte plus d’avoir un animal mort dans mon corps”, lâche-t-elle. Elle est même passée ensuite un temps “en mode végan: plus de lait, plus de beurre et plus de fromage”.
Même son de cloche chez Yasmyn, 33 ans, consultante en communication, qui parle de ce film comme d’une “grosse claque”. Et si Agathe, 32 ans, coordinatrice de contenus, souhaitait “passer à l’acte depuis quelques années”, c’est aussi un documentaire qui l’a convaincue. “J’ai vu A Life on Our Planet sur Netflix et j’ai compris que plein de petites actions peuvent améliorer les choses d’un point de vue environnemental et permettre de lutter contre le réchauffement climatique, ça a été un pas de plus et je me suis dit que j’allais le faire sérieusement”, raconte celle qui est devenue végétarienne il y a six mois.
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Comme elle, Amel, 23 ans, étudiante en master informatique, a supprimé toute nourriture d’origine animale depuis le mois de janvier dernier. “Ça faisait longtemps que j’y pensais et le déclic est venu avec le documentaire Seaspiracy; je l’ai trouvé encore plus fort que celui sur la viande, Cowspiracy, explique la jeune femme. Je me suis dit que ce n’était pas possible de continuer à consommer des produits qui étaient pêchés dans ces conditions.” À en croire Camille Brunel, 36 ans, journaliste, écrivain et militant pour la cause animale, le fait que ces documentaires engagés soient disponibles sur Netflix est loin d’être anecdotique: “Le fait que ce soit normalisé, que ça ne vienne pas du petit lien YouTube sorti de je ne sais où, c’est très efficace. Netflix, c’est mainstream, et il y a plein de gens qui ont besoin de sentir qu’ils ne sont pas les seuls à bouger pour bouger à leur tour”, assure-t-il.
Des icônes inspirantes
Imprégné·es par cette culture Netflix et marqué·es aussi par certains récits, à l’image du best-seller Faut-il manger les animaux ? de Jonathan Safran Foer –également cité à plusieurs reprises comme étant à l’origine de cette prise de conscience–, les vingtenaires et trentenaires sont aussi de plus en plus nombreux·euses à passer le cap du végétarisme, inspiré·es par des personnalités militantes actives sur les réseaux sociaux. “Pendant longtemps, indique Camille Brunel, les icônes étaient Gandhi ou Léonard de Vinci –c’est efficace mais un peu écrasant. Grâce aux réseaux sociaux, les gens célèbres peuvent mettre leurs convictions en avant et ça tend à déconstruire l’idée reçue selon laquelle les végans et végétariens constituent une sorte de secte.”
Natalie Portman, Leonardo DiCaprio ou encore Joaquin Phoenix, on ne compte plus les stars hollywoodiennes qui revendiquent leur végétarisme. Mais il y a aussi des personnalités moins connues, certes moins influentes mais qui inspirent tout autant les jeunes générations. “Mon modèle, c’est Marie Laforêt, précise Pauline Le Gall, 34 ans, journaliste, végane et autrice du Guide du Paris végan. C’est une personne hyper-positive, qui a été la première à porter le véganisme en France et j’aime aussi beaucoup Marion Lagardette, alias La petite Okara.”
Ces deux Françaises, suivies chacune par plus de 70 000 personnes sur Instagram, partagent régulièrement des recettes véganes et accessibles. De son côté, Yasmyn suit l’Américaine végane Tabitha Brown –plus de 3,5 millions d’abonné·es sur Insta, qui est “très drôle et montre des recettes simples”– et également Charlotte Polifonte, aka Mangeuse d’herbe sur les réseaux sociaux. “Elle est guadeloupéenne comme moi donc afro-végane, détaille Yasmyn. C’est une femme noire et, dans ce genre d’aventure, on a besoin de voir des personnes qui nous ressemblent.”
Tous·tes ces influenceur·euses ne sont pas sans lien avec l’engouement des jeunes. “On constate sur les dernières études que les plus jeunes ont tendance à adopter un régime végétarien, il y a une prise de conscience environnementale beaucoup plus forte, notamment chez les 12-25 ans, détaille Magali Trelohan, enseignante-chercheuse à la South Champagne Business School de Troyes, spécialisée dans les comportements pro-environnementaux comme le végétarisme. Ils et elles en entendent davantage parler, aussi bien dans les médias que sur les réseaux sociaux par l’intermédiaire d’influenceurs, à l’image du journaliste Hugo Clément qui a mis le sujet sur la table.”
Ce dernier, suivi sur Instagram par plus d’un million de personnes, collabore régulièrement avec des associations de défense des animaux et poste énormément de contenus sur ce thème. “À partir du moment où Yann Arthus-Bertrand parle de végétarisme à la télévision en prime time, renchérit Camille Brunel, ça démystifie le mouvement et c’est très bénéfique. Les jeunes grandissent avec l’idée du végétarien ou de la végétarienne qui n’est pas dans la marge, et ça change tout.” Et Pauline Le Gall de confirmer: “Aujourd’hui, personne ne te regarde comme une alien quand tu dis que tu es végétarienne.” Et tous les outils nécessaires sont désormais à la disposition de celles et ceux qui souhaitent faire la transition.
Un quotidien plus facile
Être végétarien·ne en 2021, tout le monde s’accorde à le dire, c’est plus facile qu’avant. Plus besoin d’aller impérativement dans la supérette bio spécialisée pour trouver de quoi remplacer son blanc de poulet ou son filet de merlan, la grande distribution s’est mise au diapason végétal. “Il y a une dizaine d’années, on ne trouvait pas de substitut de viande dans les supermarchés standard, rappelle Magali Trelohan. Les grandes enseignes se sont adaptées à ce qu’elles ont perçu comme une nouvelle demande. Dans les rayons frais des grands supermarchés, il y a désormais un rayon de simili-carné comme les steaks végétariens. L’offre s’est considérablement élargie.”
Et même si, une fois végétarien·ne, les similis de viande ne sont pas indispensables, “c’est plus simple d’imaginer un steak végé avec des pâtes que de se lancer dans des pois cassés”, note l’enseignante-chercheuse. Tout simplement parce que ça demande moins d’effort d’imagination, et de cuisine. Végan depuis 2014 et vivant à Châlons-en-Champagne, Camille Brunel estime qu’à l’époque “il fallait encore un peu lutter pour trouver des options véganes, aujourd’hui dans la plupart des restaurants c’est possible”.
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Thomas, 36 ans, journaliste et professeur, végétarien depuis six ans, tempère: “Dans un contexte urbain, c’est facile de manger végétarien. J’habite dans la banlieue de Lille et je constate qu’en effet, dans les restaurants, on peut demander des plats végés sans se faire regarder de travers, mais dernièrement, je suis allé à un mariage dans la campagne profonde et mon végétarisme a été le thème de la discussion pendant tout le repas ! La viande est encore profondément ancrée dans les traditions françaises.” Magali Trelohan abonde: “Les personnes végés vivent plutôt en milieu urbain, et avec un niveau d’éducation plutôt élevé.”
Lorsqu’on devient végétarien·ne, la question des déjeuners et des dîners en famille se pose très rapidement. Surprise, inquiétude, incompréhension, moqueries, déni: les réactions diverses des parents et des grands-parents peuvent parfois être difficiles à gérer. Les fêtes de Noël sont souvent le moment le plus critique. “Pour mon premier Noël en tant que végétarienne, je suis allée chez mes parents et je leur ai dit que je ferais mon propre menu, raconte Sarah. J’avais acheté du faux gras [alternative végétarienne au foie gras] et tout le monde s’était foutu de ma gueule en me disant que c’était ridicule !”
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Chez Thomas, c’est plutôt l’étonnement et l’inquiétude qui ont régné après l’annonce: “Ils ont été surpris car j’étais un gros mangeur de viande et ils se demandaient si j’allais manger à ma faim. Ma mère se préoccupait de savoir si j’allais être content d’être à table en famille; quant à ma grand-mère de 95 ans, c’est toujours la première question qu’elle me pose quand je vais la voir!” Pédagogie et patience sont alors les meilleures armes pour faire passer la pilule aux aîné·es. Et peut-être même finir par les convaincre.
Vers un végétarisme de masse?
C’est en tout cas ce que constate Brigitte Gothière, cofondatrice de l’association de protection animale L214. Elle s’explique: “Les jeunes sont beaucoup plus informés et davantage ouverts à l’information et donc plus prompts à passer à l’action car moins empêtrés dans des habitudes longues de plusieurs dizaines d’années. Ils et elles se sentent très concernés et ont une sensibilité par rapport aux animaux que des personnes plus âgées peuvent avoir perdue. Et les jeunes savent aussi que leurs gestes individuels ont un impact collectif.” Et au sein de leurs familles, ils et elles défendent leurs démarches avec “pédagogie”.
C’est le cas de Yasmyn, qui dit ne pas “imposer” son végétarisme à son cercle proche: “Je ne fais pas ma militante, mais si on me pose la question du pourquoi, j’explique.” À en croire Brigitte Gothière, “la jeune génération est en train de challenger les générations précédentes de façon très forte et très respectueuse. Ça bouscule les familles, ça les ébranle dans leurs convictions. Si les jeunes étaient dans le conflit, ça marcherait beaucoup moins bien mais, au contraire, ils et elles sont ouverts au dialogue et amènent ces questionnements dans leur entourage familial.”
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Difficile de savoir si demain le végétarisme deviendra l’alimentation mainstream et si celles et ceux qui continueront à manger de la viande seront vu·es comme des extraterrestres. “D’ici dix à vingt ans, parie Magalie Trelohan, beaucoup moins de gens mangeront de la viande mais ils et elles ne seront pas forcément végétarien·nes.” De son côté, Brigitte Gothière est plus optimiste: “Depuis dix ans, la situation a évolué bien plus rapidement que ce qu’on pouvait imaginer. C’était une problématique de niche défendue par des activistes très militants et militantes, mais aujourd’hui, c’est une véritable question de société. Même au niveau politique, les choses bougent. Alors, ça ne se fera pas sur une génération, mais on est en droit d’espérer que ça arrive d’ici deux, trois générations.”
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