Reprise du Privé, pour lequel Robert Altman réalisait la radioscopie géniale et mélancolique d’une civilisation aseptisée, l’Amérique des années 70.
LE PRIVÉ de Robert Altman (reprise, 1973) avec Elliott Gould, Nina Van Pallandt
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Cinéaste passionnant mais enclin à la balourdise, Robert Altman est l’auteur dans les années 70 d’une poignée d’excellents films, dont au moins deux géniaux : John McCabe et Le Privé. Bien qu’il ait acquis la célébrité avec ses fresques chorales (d’Un mariage à Short Cuts), c’est pourtant dans la relecture des genres hollywoodiens qu’Altman a su le mieux exprimer son talent de conteur ironique et de scrutateur désabusé de la civilisation américaine.
Le Privé s’attaque avec autant d’irrévérence que d’intelligence à l’univers et aux archétypes du film noir, propulsés dans un monde qui bafoue son héritage culturel et moral pour ne plus s’intéresser qu’à l’argent. Altman a la grande idée de prendre le fameux détective de Raymond Chandler, Philip Marlowe, de le transposer dans l’Amérique contemporaine, et de le faire interpréter par un acteur comique inattendu dans le rôle, Elliott Gould. Le Privé (libre adaptation du roman The Long Goodbye, titre original du film) transforme Marlowe en un personnage anachronique de détective dans la Californie des années 70. Altman en profite pour dire (déjà) tout le mal qu’il pense de l’Amérique moderne. La bonne santé, le luxe, le soleil servent d’écran à la violence, la corruption et la trahison. Le cinéaste, aidé par un Elliott Gould très en verve, se régale à filmer cet excentrique qui ne se sépare jamais de sa cravate et de ses costumes usés et circule en voiture rétro. C’est un solitaire, un idéaliste qui se cache derrière ses grimaces et ses vannes cyniques. « It’s okay with me » (« Au fond, je m’en fous ») est sa devise, maintes fois répétée au gré de ses rencontres. Marlowe new-look évolue comme son ancêtre parmi les flics, gangsters et jet-setters, mais il doit désormais résister à l’appel de ses voisines hippies exhibitionnistes, côtoie moult fumeurs de cannabis et croise un écrivain alcoolique (le grand Sterling Hayden), dinosaure réduit au suicide par la pourriture ambiante.
Comme souvent, le cinéaste réalise deux films en un. Il accorde autant d’importance à l’intrigue qu’au contexte, à l’arrière-plan sociologique. Le film grouille de personnages secondaires hauts en couleur, de répliques hilarantes et de gestes inquiétants. Génialement filmé, avec une utilisation inventive de l’écran large, une photographie magnifique et un accompagnement musical inoubliable, Le Privé est à ranger, avec certains titres de Peckinpah, Fleischer ou Huston de la même époque, parmi les meilleurs films américains des années 70. D’une mélancolie infinie, le chef-d’œuvre d’Altman dresse le double portrait d’un homme en porte-à-faux avec son époque et d’une civilisation aseptisée, endormie par les drogues douces et la soudaine richesse.
{"type":"Banniere-Basse"}