c’eLe philosophe Guillaume Le Blanc s’interroge sur le statut d’étranger et pointe les failles d’un système qui laisse une partie de ceux qui lui appartiennent dans l’invisibilité ou l’attente.
On ne naît pas étranger, on le devient. Or, ce devenir forme l’un des grands scandales politiques actuels. A quelle expérience sont assignés les étrangers dans la société française ? Comment définir leur condition, autrement qu’à travers les seuls critères sociaux et économiques ? Que signifie « ne pas être d’ici » ?
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Le philosophe Guillaume Le Blanc, 44 ans, déjà auteur de Vies ordinaires, vies précaires (2007), creuse cette énigme de la condition d’étranger dans une réflexion pleine de souffle et de vitalité, Dedans, dehors.
Mobilisant ses lectures de Derrida, Deleuze, Balibar ou Butler, l’auteur développe une pensée riche et complexe, habitée par l’idée d’épuiser son sujet, comme si la notion d’étranger restait toujours un peu étrangère au sens commun, et qu’il fallait creuser loin pour en débusquer le sens, sa condition indigne.
L’étranger est d’abord « celui qui se trouve acculé à ne pas pouvoir être, au sens plein du terme ». Les militants de Réseaux sans frontières, de la Cimade, du Gisti, les auteurs du collectif Cette Francelà… soulignent depuis des années combien la condition d’étranger est un effet de la précarisation juridique et sociale imposée par les Etats.
« Etre désigné comme étranger, c’est potentiellement ne plus être vu que comme membre d’un groupe de parias dont l’existence ne tient plus qu’à l’expulsion hors des sphères de l’audible et du visible », écrit Le Blanc.
L’impossibilité de bénéficier de propriétés majeures de la vie humaine (des papiers, un travail légal, une citoyenneté politique…) le prive de l’accès à une existence nouvelle.
La vie d’étranger n’a comme horizon que sa propre déshumanisation. Scindé « entre un régime public de désignation qui l’ostracise et un régime d’expérience privé qu’il ne peut faire apparaître au grand jour », l’étranger reste un sujet séparé, propulsé à la lisière des nations et de lui-même.
Déplacé sans être parvenu à se replacer, déclassé sans être parvenu à se reclasser, l’étranger rôde dans les parages de la vie sociale, « en position satellite ».
La condition d’étranger repose sur une désignation qui crée la possibilité « d’être dedans tout en étant dehors » : on peut aller à l’école mais ne pas avoir de logement, travailler mais ne pas pouvoir voter… Sans support, l’étranger reste un « être de la pure attente », comme les héros de Beckett désespérant de l’arrivée de Godot.
Lutter contre cette invisibilité pour l’accès à des papiers, au droit de vote des étrangers…, c’est ainsi lutter contre l’Etat en tant que « garant des épreuves de sélection » (Christian Boltanski).
Guillaume Le Blanc rappelle avec force que « c’est seulement quand une vie a voix au chapitre qu’elle peut commencer à compter, au même titre que n’importe quelle autre vie ».
Et l’auteur d’inviter, par-delà l’action collective, à l’invention d’un autre « devenir étranger » qui ne se définisse pas par la condition d’injure, mais par une ouverture aux autres, « en soi et hors de soi ».
Se penser soi-même comme un étranger et refuser de penser l’autre comme étranger relève d’un même geste, intime et politique, qui associé à l’hospitalité, dessine un horizon d’acceptation de l’étrange condition étrangère.
Dedans, dehors, la condition d’étranger de Guillaume Le Blanc (Seuil), 214 pages, 18 ? ; à lire aussi : Arabes en/de France (Loubatières), 240 pages, 35 €.
A voir, expo photo France 14 à la BNF jusqu’au 21 novembre.
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