Dans son premier film, Mike Leigh chroniquait un certain étouffement anglais, tel un Ray Davies du cinéma.
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Revoilà donc le tout premier film de Mike Leigh, œuvre datant de 71, temps béni où le cinéaste était beaucoup moins sûr de lui-même, ne se sentait pas supérieur à ses personnages, privilégiait le cinéma à la sociologie et au bavardage.
Au début de Bleak moments, on a quand même un peu peur. Sylvia, jolie trentenaire célibataire, vit seule avec sa jeune sœur handicapée dans un quartier de pavillons de brique grise, alignement emblématique de la « mornitude » anglaise. Heureusement, Leigh ne va pas se focaliser sur la personne handicapée pour nous servir la soupe de la compassion à bon compte Bleak moments n’est pas la matrice du Huitième jour. La sœur incapable est un élément parmi d’autres dans un tableau uniformément glauque. Pour Sylvia, rien à tirer de son quotidien : petit boulot de merde, petit chef de merde, copine de bureau gentille mais assommante, solitude accablante, grisaille générale et donc, cerise sur le gâteau, la sœur amoindrie qu’on finit par considérer comme un boulet, malgré tout l’amour du monde… Ce n’est même pas la misère absolue, juste l’ennui profond de la province, l’enlisement apathique, le vide mortifère d’une société figée dans ses conventions, ses frustrations, ses codes, l’horizon bouché par un environnement social à courte vue… Bleak moments aurait pu être écrit par Paul Weller, filmé par Ray Davies. Le plus remarquable dans ce film, quand on le compare au travail récent de Leigh, c’est l’économie des dialogues. Alors que High hopes et autres Naked se distinguent par une jacasserie incessante, Bleak moments privilégie les silences, les regards, la durée des plans, la construction d’un espace quadrillé au diapason des affects. En témoigne notamment la longue séquence dite du « restaurant chinois », où Sylvia et Peter, un prof sexuellement coincé, sortent ensemble pour la première fois : avec un mélange de gravité et de comédie, en mettant patiemment à nu une certaine inhibition anglaise dans les rapports humains, Leigh s’y montre digne de Tati un Tati qui instillerait une goutte de cruauté dans son breuvage. Sans rhétorique pesante, sans exagérer la caricature, Bleak moments dévoile les secrets et mensonges d’une société anglaise qui étouffe dans son puritanisme et ses traditions. « Les mœurs sont l’hypocrisie d’une nation », écrivait Jean-Louis Bory. Et un film comme celui-là vaut bien tous les albums de Blur ou des Sex Pistols.
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