Dans son livre de mémoires, Une vie, Elia Kazan, près de dix ans après la mort de Barbara Loden (décédée d’un cancer à l’âge de 48 ans), ne cache pas son irritation devant l’engouement que rencontra Wanda en Europe (le film triompha à Venise) : “Je n’étais pas persuadé qu’elle dispose des qualités requises pour […]
Dans son livre de mémoires, Une vie, Elia Kazan, près de dix ans après la mort de Barbara Loden (décédée d’un cancer à l’âge de 48 ans), ne cache pas son irritation devant l’engouement que rencontra Wanda en Europe (le film triompha à Venise) : « Je n’étais pas persuadé qu’elle dispose des qualités requises pour être une cinéaste indépendante. »
Barbara Loden était aussi son épouse, et une actrice magnifique dans deux de ses films (Le Fleuve sauvage et surtout La Fièvre dans le sang, où elle joue la sœur déjantée de Warren Beatty). Trente ans après, Wanda, unique réalisation de Loden, ressort comme neuf sur les écrans, telle une pièce d’or sortie de terre. Il garde toute sa force et sa beauté. La scène se déroule quelques mois après qu’un homme américain a posé pour la première fois le pied sur la Lune. C’est au milieu des terrils, dans le décor noir d’une région minière filmée dans un sale 16 mm gonflé, sur fond sonore de pelleteuses, que débute Wanda… Une petite bonne femme blonde (Barbara Loden) se réveille avec peine dans une maison en préfabriqué. Habillée de blanc, coiffée de ses bigoudis, la voilà qui traverse le paysage, petit point clair sur la terre charbonneuse, comme une astronaute flottant au-dessus de la cendre lunaire. Où va-t-elle si vaguement, Wanda ? Divorcer, laisser sans combat ses enfants à la charge de leur père, et dire bien gentiment merci au juge avant de partir errer dans une Amérique que la réalisatrice dépouille de toute trace de folklore, offrant l’image dégraissée d’un pays sans âme et sans dieu, semblable à toutes les régions ouvrières du monde.
Wanda rencontre bientôt « monsieur Dennis » (Michael Higgins, formidable, une sorte de Groucho Marx pas drôle), un voleur de dernière zone qui sue l’angoisse, le désespoir, la médiocrité et se refuse à exprimer le moindre sentiment. Monsieur Dennis va prendre en main Wanda ce qui n’est pas bien difficile , et lui redonner un peu visage humain. Car Wanda est sans force, étrangère au monde. Elle se croit morte, nulle et stupide. Monsieur Dennis, lui, n’est pas rigolo, d’ailleurs il « n’aime pas les gens gentils ». A l’image de la mise en scène du film, il n’aime pas le superfétatoire, le pathos, la musique d’ambiance, il n’aime pas non plus les « saloperies » (salade, sauce ou oignons) dans les hamburgers, ni les femmes en pantalons, ni le rouge à lèvres, ni… Nos antihéros, Bonnie and Clyde antonioniens (la scène où les deux personnages suivent des yeux des petits avions radiocommandés rappelle une séquence de La Notte), Zampano et Gelsomina du Middle West, préparent un coup. Foireux, bien sûr.
Barbara Loden, comme on parle d’écriture blanche en littérature, a un filmage blanc, d’où naît soudain l’émotion, crue, à vif. C’est en cela que son style se distinguerait de celui de Cassavetes, qui fait plutôt dans le psychodrame. Dans 50 ans de cinéma américain, Coursodon et Tavernier écrivent : « Wanda est un film où l’on a froid, où une gifle fait mal longtemps, où l’on a peur d’oublier l’ordre qu’on vous donne. » Wanda est bien cela, un cri de désespoir muet, un autoportrait d’autant plus violent qu’il est retenu, un portrait de femme angoissé et sans concession, une description accablée des exclus du capitalisme. Chef-d’œuvre sec et intemporel, Wanda n’a pas pris une ride.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}