Bonne nouvelle : « Peau d’Ane », film culte pour petits et grands qui bouleverse comme au premier jour, est à nouveau dans les salles, en version restaurée.
Après deux années passées en Californie où il a tourné Model Shop en 1968, Demy revient en France et tourne Peau d’Ane, histoire immortelle, l’un des contes de fées les plus célèbres, mis en vers par Perrault à la fin du XVIIe siècle.
Comme chacun sait surtout depuis Psychanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim, publié six ans après la sortie du film de Demy , Peau d’Ane met en scène les fantasmes d’inceste d’une jeune fille, projetés sur son père.
Or l’inceste, symbolique ou non (donc l’œdipe), travaille tout le cinéma de Demy : Solange (Françoise Dorléac), des Demoiselles de Rochefort, manque avoir une relation avec Monsieur Dame (Michel Piccoli), l’ancien amant de sa mère (Danielle Darrieux) ; dans Une chambre en ville, Madame Langlois (Danielle Darrieux) ne cache pas une certaine attirance pour l’ouvrier (Richard Berry) qu’elle héberge et qu’elle materne, qui deviendra l’amant de sa fille (Dominique Sanda) ; dans Trois places pour le 26, Yves Montand (lui-même) couche avec sa fille (Mathilda May) sans le savoir, etc.
Si Demy se trouve bien dans Peau d’Ane, que lui apporte-t-il en retour ? Une mise en scène inspirée, inventive, drôle, qui ne prend jamais le conte de haut (pas de second degré, surtout !), tout en lui appliquant une esthétique singulière. Demy rend ainsi un hommage non dissimulé à La Belle et la Bête de Jean Cocteau (les statues qui bougent, les ralentis, les arbres qui s’écartent, les trucages optiques à la Méliès, Jean Marais…) et aux Visiteurs du soir de Marcel Carné (Fernand Ledoux, les nains, des images arrêtées, une stylisation quasi dreyerienne des décors).
De son séjour aux Etats-Unis, le cinéaste nantais est revenu aussi la tête pleine d’images et d’idées : la pop (art et music), le flower-power, le psychédélisme. Les couleurs de Peau d’Ane (le rouge et le bleu des deux royaumes, les fleurs disséminées un peu partout dans le film, y compris dans la barbe d’un roi) en portent la marque. Les aspirations des deux amoureux (la chanson Rêves secrets d’un prince et d’une princesse, peut-être la plus belle scène du film car Demy filme mieux que personne le bonheur, même s’il n’est pas gai car un rêve de bonheur n’est jamais qu’un rêve) sont celles de deux gentils hippies : fumer la pipe en cachette (qu’y a-t-il dedans pour qu’elle inspire un tel sourire à Catherine Deneuve ?), se rouler dans l’herbe, etc. Peau d’Ane est donc, comme toujours, un film bien de son époque, les cheveux dans le vent (Jim Morrison, ami des Demy-Varda, assista au tournage du film).
De cette version admirablement restaurée, on retiendra néanmoins que l’image du film ne fut sans doute jamais aussi belle qu’on l’avait rêvée… Demy ne disposa pas de moyens financiers à la hauteur de ses ambitions. Tant mieux. Car le charme de Peau d’Ane tient aussi à sa facture fragile, étrangère à tout académisme, au côté bricolé de ses décors et costumes. Le monde des fées est lui-même un monde fragile et morbide (« Le conte de Peau d’Ane est difficile à croire/Mais tant que dans le monde on aura des enfants/Des mères et des mères-grands,/On en gardera la mémoire« , dit la voix off de la fin) où les hommes mûrs sont impuissants à se détacher de l’image de l’être idéalisé (Vertigo), où les fées (la divine Delphine Seyrig, avec son look de vamp des années folles) oublient qu’elles sont immortelles et se sentent vieillir.
A la fin du film, un hélicoptère dépose le roi et la fée (qui se sont mis en ménage) au mariage de la princesse et du prince. L’espace d’un instant, d’un plan, les pales de l’engin volant font souffler le vent de la science et de la technologie sur les personnages du conte, qui ne sont pas loin de s’envoler… de se volatiliser. Mais ouf ! ils résistent. Ils ont eu chaud. Nous aussi.
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