Voilà les anges.Premier long métrage de Bresson, qui n’a pas encore radicalisé sa forme, Les Anges du péché est porté par une grâce juvénile.
LE FILM Succédant au moyen métrage Affaires
publiques, la seule farce de la filmographie du
cinéaste, Les Anges du péché est le premier
long métrage de Robert Bresson. Il a alors
42 ans et choisit de consacrer son film à
Béthanie, une congrégation religieuse qui accueille
les filles de mauvaise vie. Il invente
trois personnages de jeunes femmes, une
jeune fille de la haute bourgeoisie avide de
sauver une âme, une délinquante désireuse de
se racheter, une meurtrière trouvant dans le
couvent une cachette idéale. Illustrant trois
épreuves de la foi, ces trajectoires empruntent
respectivement la forme du prosélytisme (obtenir
– une conversion), de la ténacité (tenir
bon – sa conversion) et de la révélation (accepter
– sa conversion).
Renée Faure joue la jeune fille de bonne famille,
Silvia Monfort l’ex-délinquante, Jany
Holt la meurtrière. La gaieté enfantine de la
première, la sourde assise terrienne de la seconde,
la fureur de la troisième se retrouveront
dans les personnages des films suivants
de Bresson, tous tenus par un orgueil
qui préfère s’enferrer plutôt que de
s’avouer. Ces trois cheminements entrelacent
avec une harmonieuse vivacité
l’effusion et son contraire, scénographies
chorégraphiées de la vie
communautaire, éclats de visage et
brusques défaussements (extraordinaires
jetés à terre des religieuses en
signe d’humilité). Une certaine miniaturisation
poétique du monde (frêle silhouette
s’avançant sous le feuillage du couvent, émoi
suscité par l’ombre d’une colonne ou d’une
cornette) n’est pas sans rappeler un sens de
l’échelle propre au cinéma américain de série
B où les personnages sont assaillis par la
vaste agitation de ce qui les entoure.
Les partis pris du film esquissent ceux à venir,
dont le tranchant est ici comme adouci par
cette première audace : intonations contre
aplanissement des accents, gožt de la mortification
contre stoïcisme, suspense dramatisé
du film noir contre mouvements souterrains
d’une âme, vampirisation trouble contre négociation
serrée entre les consciences, assemblage
de caractères antagonistes contre
tableau d’ensemble solidaire, groupe de personnages
contre héros unique, plaisir multiple
du cinéaste à agencer ce monde photogénique
contre distance d’une méthode soustractive. Ce
qui pourrait être un défaut de jeunesse possède
les qualités du dessin précédant la peinture :
précision du trait encore animé d’une
excitation juvénile, curiosité pour les
accidents triviaux du monde déjà filtrée
par l’affûtage d’une conscience.
LES DVD Un documentaire rappelant
les circonstances historiques du
tournage du film (en pleine Occupation,
à Paris en 1943) fait intervenir
Jany Holt et Renée Faure racontan
la rébellion des actrices qui, excédées
par l’insatisfaction maniaque de Bresson,
firent défiler dans le décor du couvent les girls
du plateau de tournage mitoyen à la place des
religieuses attendues. Un entretien avec le cinéaste
Jean-Paul Civeyrac permet de mesurer
l’influence déterminante de Bresson sur le cinéma
français.
Le documentaire est signé Anne Wiazemsky.
L’actrice et écrivaine livre par ailleurs un récit
plus personnel de sa rencontre avec Bresson
dans son Jeune fille récemment paru. Un
entretien avec Robert Bresson permet d’entendre
la voix méconnue et légèrement zézayante
du cinéaste. Et surtout, le film est accompagné
de la réédition des beaux dialogues
de Jean Giraudoux, accompagnés d’une précieuse
préface du père Bruckberger, qui fut
conseiller sur le film. La lecture des dialogues,
après la vision du film, permet d’apprécier
l’extraordinaire qualité de résonance du parler
des personnages de Robert Bresson, mise à
l’épreuve d’une syntaxe aiguisée par une élocution
suspendue qui allège la charge dramatique
pour mieux en soupeser la charge
morale.
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LES ANGES DU PÊCHÉ de Robert Bresson, avec Jany
Holt, Renée Faure, Silvia Monfort (France, 1943, 1 h 26),
Gallimard/Synops, environ 30 €
A lire : Interview d’Anne Wiazemsky (p. 36 n°583)
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