Courtisane mythique de la fin du XIXe siècle, ancêtre d’Andy Warhol ou de Cindy Sherman, la comtesse de Castiglione a laissé 450 portraits photographiques d’elle-même. Une obsession au coeur de la biographie raffinée qui lui est consacrée.
Hétaïre aristocrate devenue phénomène de foire à la manière de Lola Montès, espionne de charme comme Mata Hari, maîtresse de Napoléon III, icône fin de siècle pour dandys, la comtesse de Castiglione a incarné mille et un rôles, mais fut avant tout le metteur en scène de son existence, la créatrice de son propre mythe. Un « mythe à éclipses », comme le souligne Nicole G. Albert, qui consacre une nouvelle biographie à la bellissima du Second Empire.
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Celle qui inspira Montesquiou, Zola, Audiberti, entre autres, connaît un retour en grâce. Elle fait aujourd’hui l’objet d’expositions à travers le monde, inspire des romans comme L’Exposition, très beau livre de Nathalie Léger paru en 2008… Eminemment moderne, la Castiglione a annoncé Warhol, Cindy Sherman et même Lady Gaga. Elle est entrée dès le XIXe siècle dans la société de l’image et du spectacle, se saisissant avant tout le monde du médium photographique dans une tentative éperdue de fixer sa beauté sur plaque argentique jusqu’à faire de sa vie un roman-photo, une autofiction visuelle.
La nouvelle sensation de la cour
Envoyée à Paris pour séduire Napoléon III et oeuvrer en sous-main à l’unité italienne, la Castiglione, née Virginia Oldoïni, devient très vite la nouvelle sensation de la cour. Chacune de ses apparitions est un événement. Elle subjugue par sa beauté hiératique et surtout par ses tenues audacieuses et provocantes, qu’elle se déguise en paysanne normande, en dame de coeur ou en reine d’Etrurie. Ses coiffures vertigineuses, blondes, brunes ou cendrées, poudrées d’or ou d’argent, subliment son visage à l’ovale parfait.
Devenue la favorite de l’empereur, elle règne sur Paris et s’attire la jalousie des autres femmes – son mutisme hautain suscite l’antipathie. Seulement, sa splendeur se consume vite. Rejetée par Napoléon III, la comtesse se mue en recluse, « ermite de Passy » avant de finir « murée vivante » dans un taudis. Mais elle n’aura de cesse, grâce à la photographie, de rejouer son heure de gloire devant l’objectif, revêtant les costumes qui l’ont faite « plus belle femme du siècle ». Elle immortalise aussi sa déréliction physique, posant encore, édentée et quasi chauve.
Vide existentiel
Ecrit dans une langue élégante qui convient parfaitement à son objet, l’intelligente biographie de Nicole G. Albert interroge davantage l’entreprise photographique obsessionnelle de la comtesse que son destin, aussi romanesque soit-il. Car toute sa vie n’aura été qu’image. Une illusion tragique. L’un de ses surnoms, Nichia, signifie « coquille » en florentin. Mélancolique, paranoïaque, la Castiglione était une coquille vide que rien n’a pu combler, ni les fastes, ni les intrigues diplomatiques.
C’est ce vide existentiel qui se trouve reproduit presque à l’infini sur les 450 clichés d’elle réalisés par Pierre-Louis Pierson. Il y a dans ces images qui portent les stigmates de la disgrâce et de la folie ce que Roland Barthes nommait, dans La Chambre claire, le « punctum », ce hasard qui « point » le spectateur, « le meurtrit ou le poigne » : le regard figé et perdu du spectre de la Castiglione.
Elisabeth Philippe
La Castiglione – Vies et métamorphoses de Nicole G. Albert (Perrin), 332 pages, 22 euros
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