L’Enfance nue est le premier long métrage d’un jeune cinéaste de 43 ans. Après des années de galères (“J’étais sur la liste d’attente, comme on dit”), de travaux alimentaires pour la télévision et de rendez-vous manqués, Pialat a eu le temps de se débarrasser par avance de toutes les maladresses qui entachent souvent les premières […]
L’Enfance nue est le premier long métrage d’un jeune cinéaste de 43 ans. Après des années de galères (« J’étais sur la liste d’attente, comme on dit »), de travaux alimentaires pour la télévision et de rendez-vous manqués, Pialat a eu le temps de se débarrasser par avance de toutes les maladresses qui entachent souvent les premières œuvres. Conscient de la charge émotive que transporte son sujet (l’adoption des enfants abandonnés) et du risque de verser dans un sentimentalisme honni, il opte pour un filmage d’une sécheresse absolue. Avec ses longs plans fixes, L’Enfance nue est tenu de bout en bout, tendu à se rompre dans son refus de tout effet superflu qui pourrait faire tomber le film du côté de l’imposture romanesque. Il ne s’agit pas ici de faire pleurer Margot sur le sort des-pauvres-gamins-dont-personne-ne-veut mais d’établir un constat précis, de montrer une réalité sociale.
Conçu au départ comme un documentaire, le film s’attache à décrire les mécanismes administratifs de l’adoption. Le cas de chaque enfant est examiné froidement par une commission qui lui attribue un matricule, un dossier et, surtout, qui détermine son pedigree : « Je l’avais repérée depuis longtemps », dit une femme à propos d’une petite fille. Ramené au rang de marchandise ou, au mieux, d’animal de compagnie, il faut plaire pour se trouver une famille d’accueil. Les perdants au jeu de la séduction sont ramenés en convoi, médaille d’immatriculation au cou, vers leur centre d’origine. Parmi eux, il y a François qui se distingue par sa cruauté. C’est un irréductible, un petit frère de Jean Genet plus que d’Antoine Doinel. A ceux qui veulent devenir ses parents, il oppose un refus obstiné, fait de pudeur et de défiance. Bourreau autant que victime, il n’a de place nulle part. Son existence même est un accident, un poids mort pour une société qui ne sait que faire de lui. Perpétuel errant, il trouvera refuge chez ceux qui comme lui sont au rancart, chez les vieux qui attendent leur mort. Privé de souvenirs, de racines familiales et sociales, il s’invente une histoire à coups de mensonges naïfs et dérisoires : « Mon père, il chasse le tigre en Afrique. » Ce manque sera en partie comblé quand il rencontrera la génération de ses grands-parents à travers les figures de Pépère et Mémère. Il sera le palliatif idéal du départ de leurs enfants et de l’absence de leurs petits-enfants ; ils lui fourniront une mémoire à base de luttes politiques (le défilé syndical qui ouvre le film, la Résistance) et de confidences amoureuses. Fasciné et protégé par ce monde mort, François y trouve un peu d’apaisement. Il lui restera à inventer sa propre vie, à devenir le Loulou qu’incarnera Depardieu ou le cinéaste de Nous ne vieillirons pas ensemble. Premier grand révolté du cinéma de Pialat, il est l’ébauche de tous ses personnages futurs. C’est depuis l’enfance que le mal est fait.
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