Le collectif belge met en scène l’odyssée tragique d’un mouton qui tente de vivre dans le monde des humains. Joliment illustrée et singulièrement mise en scène, cette fable peine pourtant à émouvoir.
Quelle mouche a bien pu piquer cette pauvre bête ? Dans la scène inaugurale, un mouton se trouve avec les siens, dans une obscurité ouatée, au cœur d’un troupeau sans berger, bêlant, pâturant, engraissant parmi les siens (une douzaine de vrais moutons circulent librement sur le plateau), quand soudainement notre protagoniste oviné lève la tête, se dresse sur ses pattes arrière, regarde autour de lui, comme sidéré par la bassesse de sa condition, et décide de ficher le camp ; direction le monde des humains. The Sheep Song, la dernière création du collectif belge FC Bergman, raconte l’épopée tragique de cette créature égarée qui jamais ne parviendra à (re)trouver sa place.
En quête d’humanité
Ce n’est pas faute d’essayer. Magistralement interprété par l’acteur-danseur Jonas Vermeulen, l’humanoïde ruminant en pleine mutation fait de son mieux pour adopter nos postures, se fondre dans la masse, vivre avec les nôtres. Mais rien n’y fait. Le mouton rencontre sur son passage des personnages tout-puissants et malintentionnés – un démon-démiurge dénudé, un dieu-marionnettiste sadique, un maître-chien pervers… – responsables de sa quête manquée. Le pauvre animal doit se contenter des miettes d’un amour raté et d’une paternité fugace. À la fin, ce dernier n’a même pas le droit de revenir parmi les siens. Les moutons ne le reconnaîtront pas.
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D’emblée, les qualités de cette fable muette sautent aux yeux. Le dispositif scénique fonctionne à merveille. Le mouton déambule sur un tapis roulant qui ne cesse de le presser, le dépossédant de son libre arbitre ; pourtant volontariste, la bête ne parvient jamais à imposer ses choix. Faite de plans successifs, la scénographie bidimensionnelle est belle, singulière. Elle crée une ambiance envoûtante. Les effets de lumières, les costumes et la musique sont minutieusement soignés ; rien n’est laissé au hasard. Mais malgré la qualité du travail entrepris et la singularité de son dispositif, The Sheep Song peine à émouvoir. On a parfois l’impression que les auteurs, décontenancés par la simplicité de leur histoire, ont volontairement saturé leur spectacle de symboles et de références (Ovide, David Lynch, Mary Shelley…). Résultat : le·la spectateur·trice passe plus de temps à chercher qui représente quoi, plutôt que de se laisser porter par l’odyssée funeste du pauvre ovin.
Las, le théâtre s’appréhende ici comme une succession de tableaux, souvent superbes. Nous n’oublierons pas les scènes dansées sur le tapis roulant et la thérapie de groupe des monstres anonymes. Mais il faudra s’en contenter. The Sheep Song n’est pas le blues métaphysique que l’on attendait.
The Sheep Song par le collectif FC Bergman, conception Stef Aerts, Joé Agemans, Matteo Simoni… L’Autre Scène du Grand Avignon – Vedène. Jusqu’au 25 juillet à 15 h (relâche le 20 juillet).