Visite dans un centre d’art pas comme les autres, implanté en province mais tourné vers la scène internationale. Défricheur et unique, le Consortium de Dijon reste un vrai laboratoire de recherches.
Vous traversez des salles d’exposition. Des peintures sont accrochées sur les murs. Peu à peu, quelque chose vous semble inhabituel. Ça ne tient pas seulement à l’élégance des tableaux ni à la subtilité de l’arrangement. Il manque quelque chose à votre regard mais cela ne l’empêche nullement, au contraire, d’accomplir de salle en salle un doux et lent travelling, de suivre sans à-coups le fil de l’exposition.
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C’est inhabituel mais simple : dans ce centre d’art qui devrait être comme les autres, il n’y a pas d’extincteur rouge au coin du mur, pas de porte coupe-feu au milieu de l’espace, pas de vitrine d’alarme avec son petit marteau apparent, pas de petite lumière verte indiquant la sortie, rien de tout ce qui fait le décor permanent de bien des musées, aujourd’hui dominés par les conditions de sécurité. Tout cela est caché derrière de faux murs ou dans des recoins, pour ne pas détourner l’oeil du visiteur. En y regardant bien, vous vous apercevez qu’il n’y a pas non plus de dispositif pédagogique, pas de texte explicatif et personne dans les salles, nul « médiateur » pour vous dérouler la démarche de l’artiste. Vous êtes laissé seul face aux oeuvres, dans un espace entièrement dévolu à l’expérience de l’art. C’est inhabituel mais simple : vous êtes au Consortium de Dijon.
Le Centre d’art du Consortium est une perle rare sur la scène française, un lieu vif et pointu, parmi les plus haut de gamme de la scène internationale, animé par un trio d’irréductibles : l’intransigeant Xavier Douroux, le sardonique Franck Gautherot et l’acidulé Eric Troncy qui les a rejoints dans les années 90. Créé à la fin des années 70 par un groupuscule d’hurluberlus mélangeant extrême gauche et extrême contemporain, installé d’abord à l’étage d’une librairie alternative sous le nom Le Coin du miroir, le Consortium fait aujourd’hui peau neuve, rénove sa vieille Usine et s’augmente d’un bâtiment réalisé sous la houlette de l’architecte japonais Shigeru Ban, déjà auteur du très spectaculaire Centre Pompidou-Metz.
C’est tout l’inverse du Centre messin qui se donne à voir ici : pas de grand geste architectural, pas de chapiteau virtuose, pas d’architecture-logo, pas d’opération de communication, aucun tour de force sinon celui d’une sobre discrétion. L’exposition d’ouverture n’en est d’ailleurs pas une : c’est plutôt un choix élégant d’oeuvres d’artistes avec lesquels le Consortium entretient des affinités depuis longtemps – des peintures faussement XVIIIe de Daan Van Golden, les derniers papiers peints de Cindy Sherman, une oeuvre de jeunesse de Richard Prince. Au sous-sol, le premier film en solitaire de Jean-Marie Straub ; à l’étage une exposition moins convaincante et trop serrée réalisée en collaboration avec Dan Graham.
Pour cette fois, la prise de risque est moindre et la liste d’artistes presque trop impeccable, quasi mainstream. On aurait apprécié plus d’audace, on aurait voulu voir le Centre offrir, par exemple, une pleine salle à Didier Marcel, au peintre Loïc Raguénès ou au tandem Ida Tursic et Wilfried Mille qu’il soutient par ailleurs. Ce sera pour une autre fois : peut-être en novembre avec une « exposition d’auteur » curatée par Eric Troncy, ou au printemps avec une expo inspirée du roman de Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, conçue par la curatrice Stéphanie Moisdon. « Avant, il était plus facile d’affirmer quelque chose, module Xavier Douroux. Mais aujourd’hui, alors même que les certitudes intellectuelles sont perdues ou défondées, on ne peut plus être aussi démonstratif. »
« A l’intérieur, ça fait Miami, non ?, s’enthousiasme Eric Troncy. Sauf qu’il n’y a pas de piscine, moins de soleil et qu’on est juste à Dijon. » Formule rieuse mais qui dit bien la double échelle à laquelle se mesure le Consortium : c’est l’histoire d’un centre d’art implanté en Bourgogne (au point de développer des projets d’art contemporain jusque dans les plus petits villages de la région grâce au programme des Nouveaux commanditaires de la Fondation de France) mais qui s’est toujours porté et pensé sur la scène internationale, entretenant plus d’affinités avec l’Allemagne, la Suisse ou l’Italie dans les années 80, avec des artistes anglais ou américains aujourd’hui, qu’avec la scène française. A force de choix relevés, à force d’être parmi les premiers à avoir montré en France Cindy Sherman, Dan Graham, Bertrand Lavier ou Richard Prince, à force d’avoir soutenu la génération des années 90 (Pierre Huyghe, Philippe Parreno, Dominique Gonzalez-Foerster ou le Thaïlandais Rirkrit Tiravanija), à force enfin de s’être donné comme un des lieux phare où s’élaborait un art de l’exposition, le Consortium de Dijon est devenu une référence incontournable.
Ce d’autant plus que la structure s’est enrichie de nouvelles activités : outre le statut bizarre qui lui permet de vendre des oeuvres et l’étonnante collection d’art contemporain qui s’est constituée avec le temps, on trouve ici la maison d’édition des Presses du réel, bel outil de réflexion sur l’art, et encore la société de production Anna Sanders Films qui a notamment coproduit les films d’Apichatpong Weerasethakul.
« Les gens ne connaissent pas les deux tiers de nos activités réelles, assume Xavier Douroux. On vient de se voir confier un important programme de sculptures dans l’espace public au Qatar, sur la place principale de Doha. Ce n’est pas avec l’argent de l’Etat qu’on pourrait faire tout ça ici. »
Côté finances, le Consortium est à budget constant et toujours dans le système D. Mais il est parvenu à augmenter sa sphère d’activités sans pour autant faire exploser le budget ni devenir un ingérable mammouth institutionnel. Quel centre d’art peut se vanter d’avoir remporté une Palme d’or au Festival de Cannes (avec Oncle Boonmee en 2010), le Turner Prize avec l’Anglais Mark Leckey en 2008 et un Prix spécial du jury à la Biennale de Venise 2001 avec le Pavillon français Pierre Huyghe, dont le Consortium a été commissaire d’exposition ? « Ils sont uniques !, commente l’artiste Annette Messager. J’ai exposé chez eux au tout début de leur aventure et je peux dire qu’ils n’ont pas changé. En tout cas, ils ne se sont pas enrichis ! Pourtant ils ont assisté à la hausse du marché de l’art, à la montée délirante des prix, mais ça ne les a pas du tout ébranlés. J’appelle souvent Xavier Douroux ‘l’abbé Pierre de l’art contemporain’ : il a un côté missionnaire, une manière très politique d’aller prêcher la bonne parole pour convaincre des maires de Bourgogne de laisser l’artiste Peter Halley décorer leur lavoir. »
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