L’Italie et le Royaume-Uni ont vu leur budget culturel sévèrement diminuer ces derniers mois. Aujourd’hui, c’est au tour des Pays-Bas. Chronique d’un démantèlement annoncé.
La politique culturelle des Pays-Bas est depuis des années l’une des plus avant-gardistes d’Europe. Grâce à un ensemble de programmes et de subventions publiques, elle a profité à des artistes du monde entier. Le 27 juin, la Chambre basse néerlandaise a voté pour une réduction budgétaire de 22%, sonnant la fin des années fastes.
Dès le 1er janvier 2013, le budget annuel alloué à la culture sera allégé de 200 millions d’euros. Une mesure brutale qui marque le divorce entre le gouvernement (coalition de chrétiens-démocrates et libéraux, maintenue grâce au soutien du parti d’extrême droite PVV) et une certaine élite intellectuelle.
Exigences de rentabilité
Sous couvert de défendre un « art pour tous », la nouvelle politique se préoccupe en réalité d’imposer des exigences de rentabilité à des institutions jugées trop gourmandes en subventions. Pourtant, elle ne s’appuie sur aucune expertise. L’homme qui l’a initiée, Halbe Zijlstra, secrétaire d’Etat à la culture, l’avoue lui-même : il n’a pas de connaissance particulière du monde de l’art. Plus préoccupant encore, il n’a pas tenu compte des avertissements de son interlocuteur direct, le Conseil pour la culture. Provoquant même la démission de Els Swaab, sa présidente.
Une scène artistique peut-elle survivre sans être aidée par l’Etat ? Difficilement, répond De Zaak Nu, une organisation qui milite pour la préservation de l’art. Les dégâts devraient frapper inégalement les différents secteurs. Tandis que les bibliothèques, les monuments historiques et les musées nationaux seraient relativement épargnés, ce sont surtout les arts visuels et la création contemporaine qui verront leur budget annuel diminuer de plus de 40%.
En tête des sinistrés, trois institutions qui accueillent les artistes du monde entier en résidence : la Rijksakademie, la Jan van Eyck Academie et De Ateliers. Ces structures, pourtant internationalement reconnues, se verront confisquer l’ensemble de leurs subventions d’Etat. Et ça devrait également être le cas dans les prochains mois pour la moitié des centres d’art, parmi lesquels on compte des lieux aussi prestigieux que De Appel ou le Witte de With qui, avec un certain humour, programme jusqu’au 7 août une expo collective intitulée The End of Money !
D’autres structures devront se passer de toute aide, comme les magazines d’art, la fondation SKOR pour l’art dans l’espace public, ou la NIMk, qui promeut les arts vidéo et multimédia. Quant aux écoles d’art, elles échappent aux restrictions de justesse, mais doivent réduire leurs effectifs de plus de 20% pour l’année prochaine.
La TVA sur les billets de concert passe de 6 à 19%
Ces institutions ne pourront pas compter non plus sur les fonds locaux qui doivent opérer leurs propres coupes. Tandis que les investisseurs privés ont prévenu de leur côté qu’ils ne pourraient pas sauver tout le monde. Les arts vivants subissent un étranglement comparable. Plusieurs compagnies de danse, de théâtre et d’opéra voient leurs subsides disparaître. Parallèlement, la TVA prélevée sur les billets de concerts et de théâtre passe de 6 à 19 %.
L’indignation est unanime, dans le secteur public, comme dans le privé. Une « marche pour la civilisation » a été organisée juste avant le vote. Plus d’une dizaine de milliers de personnes sont descendues dans les rues d’Amsterdam, de Rotterdam et de La Haye. A travers le monde, nombreux sont les artistes à s’être associés à ce mouvement exemplaire. Une lettre ouverte signée, entre autres, par Daniel Buren, Liam Gillick ou Lawrence Weiner a circulé sur e-flux (le réseau social de l’art). Parmi eux aussi, l’artiste américaine Martha Rosler qui a souvent exposé aux Pays-Bas, a ajouté ce commentaire : « Je ne peux pas comprendre qu’une politique coupe les fonds à des institutions d’une telle valeur, diverses, renommées et influentes. »
Alice Poujol