Un Américain à Paris marque l’apogée du deuxième âge d’or de la comédie musicale hollywoodienne, celui des productions d’Arthur Freed pour la MGM. Les années 30 avaient célébré les arabesques du couple Astaire-Rogers, tandis que les ballets de Busby Berkeley exploraient les nouvelles possibilités d’agencement géométrique offertes par la caméra. Avec Freed et son écurie […]
Un Américain à Paris marque l’apogée du deuxième âge d’or de la comédie musicale hollywoodienne, celui des productions d’Arthur Freed pour la MGM. Les années 30 avaient célébré les arabesques du couple Astaire-Rogers, tandis que les ballets de Busby Berkeley exploraient les nouvelles possibilités d’agencement géométrique offertes par la caméra. Avec Freed et son écurie (Minnelli, Donen, et bien sûr l’emblématique et novateur Gene Kelly), il ne s’agit plus seulement de spectacle, si abstrait ou sophistiqué soit-il, mais très explicitement d’art. De ce point de vue, il est difficile de faire plus ambitieux que ce film, qui se mesure non plus à ses pairs ni même à la scène, mais aux arts consacrés, la musique savante et l’avant-garde picturale certes datée et accessible (Lautrec, Dufy, Seurat). Pour se les réapproprier, mais peut-être aussi pour les régénérer : de même que Gershwin rend hommage à Strauss mais injecte du jazz dans sa valse, de même la peinture est bien plus présente dans les ballets que dans les croûtes pour place du Tertre que peint Gene Kelly, l’apprenti artiste du film. Car cette célébration de l’art, un rien mégalomane (et que parodiera peut-être le metteur en scène démiurgique et faustien qui sévit dans Tous en scène), a son revers : à la différence d’un Chantons sous la pluie, l’intrigue proprement dite, forcément sentimentale, reste ici schématique et bâclée, grevée par l’agaçante Leslie Caron et le regretté et regrettable Georges Guétary, et sacrifie le beau personnage de mélo de Nina Foch, mécène amoureuse et mûrissante. Surtout, la trajectoire artistique est placée sous le signe du ratage, de la compromission, de la solitude. Lorsque, au début du film, les personnages masculins se présentent en voix off, la caméra se « trompe » systématiquement de visage, les montrant plus jeunes, plus aimés, plus prospères qu’ils ne sont en réalité. L’art est donc du côté du rêve, mais tourne volontiers au solipsisme de cauchemar, comme dans la scène où le compositeur (Oscar Levant) dirige dans le Concerto en fa un orchestre où il joue lui-même de tous les instruments. Et pour Kelly, c’est au sortir du rêve qu’il pourra y avoir happy-end, sans qu’on sache pourtant, de l’art ou de l’amour, quel est le plus coûteux sacrifice, ou le bonheur le plus irréel.
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