Six mois après la révolution, des sit-in ont toujours lieu dans plusieurs villes tunisiennes, sur des places ou devant des bâtiments publics. Les manifestants, qui rappellent les « indignés » grecs ou espagnols, pensent que tout reste à faire.
(De Tunis) On part sur une note optimiste. Un café, le soir, sur la très passante avenue Habib Bourguiba au centre de Tunis, avec des militants d’extrême-gauche issus des Beaux-Arts.
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« Tu sais, avant le départ de Ben Ali, je n’aurais jamais pu me montrer ici avec une journaliste française. Au bout de dix minutes on aurait été encerclés par cinquante flics de la police politique. »
Rien de tel à l’horizon, les soldats et policiers les plus proches surveillent les bâtiments publics cernés de barbelés, pas les conversations. Au bout de l’avenue, la place du 14 janvier 2011 a remplacé la place du 7 novembre 1987, date de l’arrivée au pouvoir de Ben Ali. Ça va mieux alors. La parole est libre, la révolution consacrée.
Il ne faut pas très longtemps pour déchanter. A Bizerte, ancienne ville de garnison française au bord de la Méditerranée, une vingtaine d’hommes campent sur une place depuis trois mois. Ils ont installé des tentes, des drapeaux, des tracts et des photos collées sur des grands panneaux. A la manière des « indignés » grecs et espagnols, ou des Égyptiens de la place Tahrir, ces Tunisiens font de leur campement un lieu de débat et un symbole de pression constante. Ils attendent du concret et n’ont « rien à perdre« .
Pour Ichem, la quarantaine bien tapée, les évènements de janvier et le départ du dictateur « s’apparentent plus à un coup d’État qu’a une révolution« . Les politiciens du RCD ont été recyclés dans le gouvernement provisoire, les figures du mouvement social se sont heurté a un plafond de verre qui les a laissées en dehors des instances de réforme. Moins de 5% des Tunisiens en capacité de voter se sont inscrits sur les listes électorales. Plus d’une centaine de groupes politiques se présentent en octobre pour former l’Assemblée constituante. Qui choisir ? Pourquoi s’inscrire s’il faut voter pour des partis corrompus, issus de l’opposition officielle ou inconnus? Ichem ne croit pas à leurs promesses :
« En Tunisie, quand tu veux construire une maison, tu dois faire un croquis pour obtenir l’autorisation de la municipalité. Tu le fais. Ensuite tu construis ce que tu veux. Les programmes électoraux, c’est la même chose. Pour l’instant, on est libres de parler, mais on ne peut rien faire. »
Dans de nombreuses villes du pays, des sit-in similaires ont lieu, comme une deuxième phase du changement en cours. Des participants nous citent Gafsa, Sidi Bouzid, Sfax, Kasserine. A chaque fois un petit nombre de campeurs, mais des renforts pour les manifestations et l’impression d’avoir créé un réseau actif.
A Tunis, les manifestants ont élu domicile entre le siège de la Tunisienne de Banque et le chantier d’un hôtel, construit, nous dit-on, par l’un des fils Khadafi. Mohamed A. fait la visite guidée. « Il y a des réunions tous les jours, on parle de ce qu’on va faire. Cette fille-là, elle a été tapée par la police pendant la dernière manifestation a la Casbah. Moi je suis recherché pour avoir frappé un policier, mais s’ils viennent m’arrêter ici, les autres ne laisseront pas faire. »
Le jardin s’appelle « place des droits de l’homme », sur un boulevard ou la foule de voiture est dense, mais les piétons peu nombreux. « C’est pas grave, les voitures diplomatiques passent par ici, elles nous voient », insiste Mohamed K. A 24 ans, il est revenu de plusieurs années aux États-Unis début janvier, et a assisté à toutes les manifs à Tunis. Après l’une d’elles, il a passé cinq jours dans un poste de police :
« La plupart des gens vont te dire que les choses se sont arrangées, mais pour la famille révolutionnaire, rien n’a changé. Ben Ali n’était qu’un symbole du régime qu’on veut faire tomber. Ici on prépare une masse bien organisée et déterminée à retourner à la Casbah. »
Mohamed K. a « deux terrains, le réel et le virtuel ». Il « travaille beaucoup sur Internet et sur Facebook » tout en discutant dans la rue. Comme son ami Faouzi, persuadé que la révolution tunisienne « sera le moteur d’autres révolutions pour un nouvel ordre mondial« . « Ce sera l’étincelle », renchérit un homme plus âgé jusque-là silencieux.
Les priorités qui reviennent sur toutes les lèvres : la liberté politique, du travail, l’indépendance par rapport à l’étranger et a la finance, des medias pluralistes, la justice sociale. « Notre rêve« , risque Faouzi. Il se fait reprendre : « Ce ne sont pas des rêves, ce sont nos objectifs ». Dans le sit-in, « il y a des gauchistes, des islamistes, la plupart des gens n’ont pas d’idéologie et tous sont freres ici », affirme quelqu’un.
En tout cas, tous sont conscients d’être au début d’un processus qui prendra des années. « Nous nous battons contre un système impérialiste mondial. Quand on aura réussi, on pourra devenir un exemple, ce n’est pas encore le cas. » Jusqu’à quand resteront-ils sur ces places? Skander rigole en traversant la rue : « jusqu’à la liberté ».
Camille Polloni
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