Gens bons, jambons. Depuis l’impressionnant Le Chêne, Lucian Pintilié déclinait doucement. Le plus turbulent des cinéastes roumains se ressaisit avec l’épopée fatale d’un rebelle sans cause. Depuis Le Chêne, le Roumain décapant Lucian Pintilié a connu une légère baisse de régime. Il reprend un peu du poil de la bête avec ce film au titre […]
Gens bons, jambons. Depuis l’impressionnant Le Chêne, Lucian Pintilié déclinait doucement. Le plus turbulent des cinéastes roumains se ressaisit avec l’épopée fatale d’un rebelle sans cause.
Depuis Le Chêne, le Roumain décapant Lucian Pintilié a connu une légère baisse de régime. Il reprend un peu du poil de la bête avec ce film au titre évidemment piégé, car il n’y a pas plus de paradis ici que de beurre en broche. Ce titre paradoxal reflète aussi une certaine tendance au réalisme poétique, heureusement contrecarrée par les situations, les dialogues et les personnages. L’idée centrale, c’est la description du parcours accidenté de deux branques, un garçon et une fille, évoluant au bas de l’échelle sociale : Mitou (Costel Cascaval) est porcher, et Norica (Dorina Chiriac), serveuse de boui-boui routier. Leur histoire d’amour bricolée (comme leur vie) les mettra complètement en porte-à-faux avec la société, c’est le moins qu’on puisse dire.
Potentiellement, c’est un drame romantique dont Victor Hugo eût fait ses choux gras les personnages sont d’exemplaires misérables du xxème siècle , mais Pintilié a le bon goût de le dynamiter par son sens permanent du désordre et de l’anarchie, qu’il avait un peu calmé dans ses deux précédents films. Adonques, Mitou et Norica font connaissance, smack-smack, tchik-tchik, etc. Dès lors, leur trajectoire ressemblera à une série d’électrochocs, une réaction en chaîne dont l’issue sera fatale, comme souvent chez Pintilié. Cela se traduit par une série de visions ordinaires du chaos, dont le cinéaste roumain est le grand spécialiste. Car pour lui la vie n’est qu’une succession de frictions, voire un processus de démolition. D’où, en dehors de la love story style art brut de Mitou et Norica, des scènes de foutoir épatantes : comme les retrouvailles familiales dans le studio on ne peut plus miteux de Mitou, dans une HLM pourrie et avec un matelas pour tout mobilier, à l’occasion du retour au pays de son frère rentré des Etats-Unis, où il travaille comme un esclave. Pintilié ne filme pas la réunion platement, mais en organisant graduellement la confusion, faisant surgir hommes, femmes, enfants de la cuisine, de la salle de bains, des placards. Tout finit en libations brouillonnes et reproches doux-amers, pendant qu’à l’arrière-plan un enfant, encouragé par Mitou, jette une bouteille d’eau par la fenêtre, qui casse le pare-brise d’une auto…
Un burlesque froid, désamorcé et rendu déstabilisant par la nudité du décor et de la mise en scène, sans effets. Avec des plans au grand-angle, un peu de flonflons, des costumes bariolés et des personnages plus rigolards bref, du folklore , Pintilié pourrait presque rivaliser avec Kusturica. Seulement, le barbu roumain est nettement plus désespéré et ce, depuis ses premiers films que le barbu yougoslave. Chez Pintilié, les rires virent immédiatement au jaune… Ainsi, il ne se contente pas du spectacle amusant de l’embouteillage provoqué par une dispute familiale dans une bagnole, mais lui adjoint la colère et la haine. Ses personnages sont toujours au bord de la folie, semblables aux possédés dostoïevskiens. Pintilié explique que L’Idiot est un titre qui aurait très bien convenu à son film.
Comme quelqu’un qui en tombant d’un arbre se heurte à chaque branche, le héros subit un choc violent à chaque palier de son itinéraire qui le rapproche du cataclysme final. Certes, ce personnage de rebelle incurable, que son incorporation dans l’armée incitera aux pires transgressions, ressemble, en plus fruste, à un héros classique le marginal en butte à la société, pivot narratif d’une flopée de films américains. On n’est donc pas spécialement dérouté par l’évolution du récit. Mais il y a en plus une philosophie originale et provocatrice, par laquelle l’auteur prend une certaine distance avec le drame traditionnel : le parallèle frappant que fait Mitou, avec force arguments, entre les hommes et les cochons qu’il choie avec amour. Voilà peut-être la vraie dimension poétique du film. Un homme pour qui les humains ne sont qu’une variante bestiale et vicieuse de l’espèce porcine ne peut pas être tout à fait mauvais.
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