Clair obscur. Souvent méprisé, René Clair était le cinéaste d’une certaine francité d’avant-guerre. Une monographie et un numéro spécial de la revue 1895 tentent de percer le mystère Clair. Serge Daney le traitait par le plus profond mépris. Un jour, Marc Ferro écrasa d’un mépris tout aussi souverain (qu’il semblait avoir facile) une salle entière […]
Clair obscur. Souvent méprisé, René Clair était le cinéaste d’une certaine francité d’avant-guerre. Une monographie et un numéro spécial de la revue 1895 tentent de percer le mystère Clair.
Serge Daney le traitait par le plus profond mépris. Un jour, Marc Ferro écrasa d’un mépris tout aussi souverain (qu’il semblait avoir facile) une salle entière d’étudiants en cinéma, à qui il reprochait de préférer Renoir à Clair, « comme tout le monde ».
Qui est René Clair ? Pourquoi son cinéma semble-t-il passé de mode ? Clair incarne un certain esprit à la française, un mélange d’ironie et de popularité. En somme, un siècle après sa naissance, le cinéaste est encore un cliché ou un archétype comme il les aimait tant. Or, cette France qu’il rêvait et incarnait à la fois n’a sans doute jamais existé. Elle appartient à cette époque chimérique où le Français était courtois, fin, distingué, cultivé mais drôle et popu, portait un feutre, de fines moustaches, avait l’oeil vif et coquin et des lèvres pincées, et où le monde entier l’admirait. Voilà ce que montre le petit monde sympathique des films de René Clair, avec ses enfants farceurs, ses femmes adultères et ses bourgeois idiots, ses flics bonasses et ses militaires psychorigides, curieusement issus d’un xixème siècle qu’il avait à peine connu.
Le premier film réalisé par René Clair, Paris qui dort, annonçait son oeuvre future : une fantaisie certaine et folle frappée de crises de mélancolie soudaines, une poésie de mirliton sans prétention, un goût quasi pathologique pour les poursuites, un art très statique du cadrage, un style de montage assez lourd (une crainte de ne pas se faire comprendre, qu’il partage avec Truffaut, son successeur en francité), une vision naïve de l’amour, une propension pour les clins d’oeil et les pieds de nez, tout cela sans jamais une once de vulgarité. Méliès, Offenbach, Labiche réunis ! Le film qui le fait connaître, le dadaïste Entr’acte, est assez jubilatoire et innocent, mais ne parvient jamais à être suffisamment « sale » pour être un chef d’oeuvre qu’on le compare seulement au jouissif Un Chien andalou. Clair évoluera peu à peu vers un classicisme de bon alois, d’une poésie retenue, mignonne et pusillanime, qui s’achèvera par Les Grandes manoeuvres, film aussi peu attaquable qu’inexcitant… mais pas pire qu’Eléna et les hommes. Clair rêva toujours d’être un écrivain, bien qu’il fût également l’un des premiers « auteurs » de cinéma revendiqués, et il ne croyait sans doute pas entièrement à la valeur du cinéma, même s’il en avait prouvé la force d’expression et avait participé à en révéler les capacités.
Le Mystère René Clair, biographie de René Clair, a été écrite par l’historien de cinéma Pierre Billard. Celui-ci tente de percer le secret d’un homme à l’image fort lisse, dont le regard était sans doute plus précis que la pensée. Lourd de style (un seul exemple : « le fantôme de René Clair hante le château de notre histoire »), facilement soporifique, le livre de Billard tombe avec assurance dans l’autosatisfaction, mais atteint son but : faire oeuvre pédagogique. Cependant, il ne parvient pas à donner une chair à son personnage, à ceux qu’il a fréquentés (son évocation de l’avant-garde des années 20 est de carton-pâte et approximative) ou à une époque. Sa conclusion est bien courte. Affirmer que la seule absence de Clair en France entre 1935 et 1945 explique qu’il ait loupé le coche de la modernité, c’est oublier que dès les années 20, alors qu’il était très proche de cette « modernité » (le surréaliste Jacques Rigaut était l’un de ses meilleurs amis), il en est toujours resté distant avec une ironie assumée que Billard met bien en valeur ; c’est encore oublier que son amitié avec De Sica, après-guerre, ne le fit pas virer d’un centimètre. Le livre refermé, le mystère Clair reste entier (peut-être parce que Billard ne parvient pas à nous faire saisir la nature ambigüe des relations entre Clair et son sombre frère Henri Chomette, lui-même cinéaste d’avant-garde).
On lira donc avec grande joie le brillant article de Barthélemy Amengual, parue dans le numéro de septembre de 1895, la revue de l’Association française de recherche sur l’histoire du cinéma. C’est lui qui avec une pertinente acuité et en 14 pages (contre les 480 plombées de Billard) rend le plus justement hommage au génie de René Clair.
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Le Mystère René Clair de Pierre Billard (Librairie Plon) & René Clair, n° 25 (septembre 98) de 1895
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