L’american way of life passée à la moulinette d’un nihilisme hilare.
C’est une scène qui, au cinéma ou à la télé, arrache toujours un sourire. Au petit matin, des bataillons d’Américains aussi parfaitement synchronisés qu’un vol de coucous suisses montent dans leurs voitures, et quittent leurs banlieues middle class pour se rendre au boulot. D’Edward aux mains d’argent au générique de Weeds, on ne compte plus les metteurs en scène ayant ainsi recyclé l’un des passages les plus réjouissants de Babbitt, le roman dans lequel Sinclair Lewis inventait en 1922 le concept de « citoyen américain standardisé », petite fourmi aussi grégaire qu’industrieuse.
Rééditée en France l’an dernier, cette réjouissante satire des moeurs du Midwest a eu davantage de chance qu’A Cool Million, le chef-d’oeuvre de méchanceté que Nathanael West signa en 1934. Soit un genre de Candide mis en scène par le Tod Browning de Freaks, dans lequel les mythes de l’ascenseur social et de la vertu récompensée sont passés à la moulinette, puis dissous dans la chaux vive.
Avec ce monument de nihilisme hilare, West s’est assuré l’éternelle reconnaissance de nos enragés favoris, de T. C. Boyle à George Saunders. L’édition française de ce livre de chevet étant épuisée depuis des années, la lecture de la version originale, disponible en poche, reste l’une des plus jouissives manières de réviser son anglais pendant l’été.
Bruno Juffin
Babbitt de Sinclair Lewis, traduit de l’anglais par Maurice Rémon (Stock), 192 pages, 22,50 euros.
A Cool Million de Nathanael West (Farrar Straus & Giroux), 464 pages, env.10 euros.