Il y a quarante ans paraissait aux Etats-Unis Binky Brown…, une œuvre fondatrice signée Justin Green, qui inventait l’autobiographie en BD.
Maus n’aurait jamais existé sans Binky Brown, avoue Art Spiegelman. Et Chris Ware estime que, sans lui, les comics ne seraient pas ce qu’ils sont. Mais qu’est donc ce Binky Brown qu’appréciaient également Federico Fellini et Tom Wolfe ? Près de quarante ans après sa publication aux Etats-Unis, une magnifique version française permet de découvrir cette oeuvre fondatrice – et son auteur, Justin Green.
Binky Brown, double de Justin Green, est un jeune garçon éduqué dans le catholicisme le plus strict. De ces années de puritanisme et de rigidité inculqués par les soeurs, il hérite une névrose obsessionnelle. Obnubilé par la peur du péché, il se soumet à des rituels purificateurs qui tournent peu à peu à la manie absurde et paralysante : l’adolescent décide que le rayon qui prolonge son pénis ne doit jamais croiser toute ligne droite en provenance d’un objet religieux. Jusqu’à l’âge adulte, sa vie sera régie par cette crainte invraisemblable et par des actes de contrition (prières, mantras…) destinés à lui éviter la damnation éternelle.
Véritable inventeur de l’autobiographie en BD, Justin Green est le premier auteur à avoir ainsi mis en scène ses souvenirs intimes.
« On n’avait pas encore en ce temps-là défini de normes, ni écrit de livres accessibles à tous sur le sujet de la narration visuelle. Je cherchais mon chemin à tâtons », écrit-il en postface.
Pourtant Binky Brown est une oeuvre parfaitement maîtrisée, dans laquelle Justin Green se livre autant par le propos que par le trait. Avec humour, franchise et inventivité, et tout en fustigeant la religion, il raconte tout ce que son comportement avait de pathétique mais aussi d’insurmontable.
Par ailleurs, même si on ne voit jamais Binky Brown lire de comics, c’est toute son enfance de baby-boomer fan de BD que révèle son style. On y reconnait autant la folie des auteurs de Mad ou les comics de chez DC qu’il dévorait que le dessin rigide et sentencieux des illustrés religieux distribués à l’école. Contre-culture et échappatoire, les comics furent pour Justin Green sa « pierre de Rosette pour déchiffrer l’existence ». Son Binky Brown novateur et iconoclaste joua le même rôle pour plusieurs générations d’auteurs.
Anne-Claire Norot
Binky Brown rencontre la Vierge Marie (Stara), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Harry Morgan, 64 pages, 19 euros.