Autour des Rebelles du dieu Néon, visite des obsessions et fascinations du cinéaste Tsai Ming-liang.
La chose qui frappe tout d’abord dans Les Rebelles du dieu Néon, c’est l’immédiat sentiment de familiarité. Les aléas de la distribution, en nous faisant découvrir en premier les deux films qui ont suivi (Vive l’amour et La Rivière), pourraient donner l’impression que ce film est l’aboutissement du cheminement artistique du cinéaste, alors que, au contraire, il s’agit de la genèse de son style, de la mise en place de son univers, en grande partie fixé dans ce premier essai. Ainsi, on retrouve déjà le noyau familial (un fils et ses deux parents, interprétés par les mêmes acteurs, dans le même appartement), des inondations et la fascination de Tsai pour la masturbation et les films pornographiques. Déjà, également, le film est structuré principalement en de longs plans-séquences, étirés jusqu’à la limite du raisonnable. Certains débouchent sur une rencontre, un geste, une parole dont on nous expose alors la genèse. D’autres ne débouchent sur rien et servent uniquement à marquer le passage du temps et les occasions manquées (par exemple lorsque deux personnages se croisent sans se rencontrer, sans savoir qu’un film les réunit).
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Ce dispositif qui, répété de film en film, pourrait sembler vainement théorique ne l’est en fait (presque) jamais. Il est sans cesse au service de personnages totalement incarnés que Tsai filme avec gourmandise et dont la présence physique à l’écran, la capacité à habiter les plans, à happer le regard du spectateur maintiennent le film à bonne distance de l’exercice formel mortifère que l’on pourrait craindre a priori.
Tout en étant dans la droite ligne des autres films, Les Rebelles… est légèrement différent. Alors que La Rivière et, surtout, Vive l’amour formaient des blocs compacts, et en fin de compte assez intimidants, on retrouve ici un peu de jeu, des interstices dans lesquels se nichent des fragments d’espoir, voire de bonheur. Des trois films, seul celui-ci contient des scènes de joie et d’insouciance (même si Lee Kang-sheng, alter ego du cinéaste, en est déjà exclu). La musique, également, d’une lancinante simplicité semble témoigner d’une civilisation dont le coeur battrait encore, d’une aspiration à un ailleurs, un autrement.
De même que, en physique, le désordre est source de stabilité, les fugitives lueurs d’espoir qui parsèment le film, si elles semblent tout d’abord en atténuer le propos, ne font en définitive que le rendre plus fort, plus poignant, plus humain peut-être.
A posteriori, on peut se demander si l’accentuation du caractère sombre et désespéré que l’on retrouvera dans Vive l’amour et La Rivière n’est pas une impasse. Les Rebelles… se termine sur la promesse ténue mais bouleversante d’une rédemption, d’un nouveau départ. Puisse Tsai s’en souvenir pour la suite de son oeuvre. A cet égard, la dernière scène de La Rivière est de bon augure.
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