Golden boy des séries télé, J. J. Abrams confirme son statut de cinéaste culotté. Il évoque ses années 70, sa vision des blockbusters et ses projets.
Au coeur d’un été où les raisons de ne pas désespérer d’Hollywood sont rares, Super 8 tient ses promesses et impose sa stature de blockbuster étrange et habité. Ses airs de flash-back sentimental et conceptuel vers la fin des seventies nous charment, son hors-champ symbolique également. Scrutant un groupe de jeunes garçons et filles embarqués dans la réalisation d’un court métrage et finalement confrontés à une créature, le film raconte en creux les années de pré-adolescence du réalisateur J. J. Abrams, qui furent aussi celle du succès toujours plus foudroyant de son producteur, Steven Spielberg.
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La nostalgie des formes (les films de Spielberg comme Rencontres du troisième type et E. T.), des matières (la pellicule) et de la vie (celle d’Abrams) s’inscrit dans une matière fictionnelle dominée par les enfants. J. J. Abrams offre aux jeunes corps qu’il filme une mémoire, un geste passionnant qui écarte le film de toute tentation rétrograde. Virtuose et joueur, Super 8 raconte alors notre histoire commune de spectateurs tout en réfléchissant sur le futur du cinéma. Entretien avec son réalisateur J. J. Abrams, golden boy de la télévision (Alias, Lost, bientôt Alcatraz) devenu film-maker culotté.
Ce film est personnel car il fait remonter des sensations anciennes. Votre premier contact avec le monde de Steven Spielberg, producteur de Super 8, ne date pas d’aujourd’hui… J. J. Abrams –
Ado, je tournais des films en super-8 avec Matt Reeves (réalisateur de Cloverfield). Nous avons participé à un festival à Los Angeles en 1982 et la presse locale a écrit sur nous. Le lendemain, nous recevions un appel du bureau de Steven Spielberg. On nous proposait de réparer les films qu’il avait réalisés tout jeune. On est devenus dingues. C’était extraordinaire de simplement les regarder. Je n’ai pas rencontré Spielberg à ce moment-là, mais plus tard, en 1989.
C’était très tôt dans votre carrière.
J’avais 23 ans. Je commençais à bosser comme scénariste. Il avait à peu près l’âge que j’ai aujourd’hui. Nous sommes restés en contact, et nous nous sommes davantage rapprochés quand il tournait La Guerre des mondes (2005). J’ai beaucoup fréquenté le plateau, pour préparer Mission: Impossible III avec Tom Cruise. J’ai toujours été influencé par Spielberg. Mais le croiser et finalement travailler avec lui, c’était incroyable.
Super 8 se déroule en 1979, avec des personnages pré-adolescents de votre génération, celle qui a vu les premiers films de Spielberg à leur sortie.
J’ai conçu Super 8 comme un hommage à une époque, un sentiment, un esprit. Le fait que Steven Spielberg en soit le producteur et que le film porte le sceau Amblin (la principale société de production de Steven Spielberg dans les années 80 – ndlr) a rendu naturel l’hommage à un certain type de cinéma, dont le sujet était l’indépendance des enfants, l’amour, la famille… Il y avait de l’extraordinaire, du surnaturel, mais la structure émotionnelle des personnages primait. Les films n’étaient pas tous parfaits, mais leur ambition restait grande. Je voulais rendre hommage à ce genre qu’Hollywood ne produit plus, tout en racontant mon expérience personnelle, ces petits courts métrages que j’ai tournés dès mon enfance et aimés désespérément.
Vous dites avoir voulu regarder en arrière. Mis à part votre passé, qu’est-ce qui vous intéresse dans la fin des seventies ?
Technologiquement, tout était plus lent. Nous traversions des temps analogiques, alors qu’aujourd’hui, nos connexions sont instantanées. Une sorte de flou entoure immédiatement la réalité. Il y a quelque chose de réconfortant pour moi dans le fait de me tourner vers ce passé-là. Quand nous avons fait Lost (J. J. Abrams en est le cocréateur – ndlr), j’ai eu un sentiment similaire. Nous parlions de gens coincés dans une époque et une vie différentes. Même si je ne crois pas que le public aimait la série à cause de ça, il y avait quelque chose de fort dans le fait d’être loin de la rumeur du monde. Ces personnages habitaient un lieu plus primitif, ils étaient ailleurs. Les seventies n’ont rien d’une île déserte, mais de manière relative, peut-être que si. Je vois cette période comme une utopie low-tech.
Super 8 intéresse par la façon dont vous filmez les enfants, et notamment Elle Fanning, si mature.
On parle souvent aux Etats-Unis de Spielberg comme de celui qui a transformé les enfants en héros de cinéma, avec des problèmes de héros de cinéma. Il n’était pas le premier à le faire, il le reconnaît. François Truffaut a été une énorme influence. Moi aussi, j’avais envie de travailler avec des enfants. Avec Elle Fanning, je parlais intensité, modulation de jeu, des choses qu’on attend d’acteurs adultes. Et elle avait 12 ans !
Avant Super 8, Inception avait prouvé qu’un blockbuster intelligent peut secouer Hollywood. La mode des superhéros est-elle enfin passée ?
Quand un film comme Inception arrive, les gens se posent de bonnes questions. Ils comprennent que les films basés sur des personnages de comics, les suites ou les reboots de franchises préexistantes, n’ont rien d’une panacée. Il y a une fatigue naturelle par rapport aux superhéros, même si le genre n’est pas mort, on le voit avec Iron Man. Simplement, le public comprend immédiatement quand un film est issu de décisions strictement industrielles. Il faut des idées originales et de la passion. J’ai tourné des suites, je suis coupable. Mais je plaide la passion !
Dans vos deux premiers films, Mission: Impossible III et Star Trek, vous avez célébré l’alliance entre le cinéma et les séries télé. Croyez-vous toujours en cette perspective ?
Quand j’étais gamin, personne ne faisait les deux. Maintenant, les acteurs, les scénaristes et les réalisateurs passent tranquillement de l’un à l’autre. Il y a un espace pour tous les projets mais pas de hiérarchie. Personnellement, je suis fier de faire à la fois du cinéma et de la télé.
Vos avez connu votre premier échec à la télévision l’an dernier avec Undercovers…
Oui, une énorme plantade (rires).
Mais vos deux séries Person of Interest et Alcatraz, suscitent d’énormes attentes.
Je suis producteur de ces séries, je ne les ai pas créées. Mais j’ai beaucoup travaillé pour qu’elles existent. Maintenant que les pilotes ont été acceptés, j’annote les scénarios. Pendant la production, je regarderai les rushes et je commenterai les montages. La routine, quoi !
Super 8 de J. J. Abrams, avec Joel Courtney, Kyle Chandler, Elle Fanning (E.-U., 2011, 1 h 50), en salle le 3 août.
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