Avec Don, Abolfazl Jalili organise un imbroglio narratif tendant à l’amoralité, ce qui est plutôt rare dans un cinéma iranien en général très à cheval sur la loi, religieuse ou civile. Curieux cinéaste iranien que Jalili. A la fois fidèle aux normes culturelles nationales et en dehors. Très distinct formellement et narrativement du poétique Danse […]
Avec Don, Abolfazl Jalili organise un imbroglio narratif tendant à l’amoralité, ce qui est plutôt rare dans un cinéma iranien en général très à cheval sur la loi, religieuse ou civile.
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Curieux cinéaste iranien que Jalili. A la fois fidèle aux normes culturelles nationales et en dehors. Très distinct formellement et narrativement du poétique Danse de la poussière (1990), le récent Don (1998) met encore (et toujours) en scène un enfant. Comme dans certains films de Kiarostami et de ses émules, le héros, Farhad, 12 ans environ, est victime d’un imbroglio dialectique et administratif. Il est dépourvu de papiers d’identité en raison de la négligence de son père, camé grave (une première dans le cinéma iranien). A cause de cela, Farhad ne peut ni aller à l’école ni apprendre à lire. Il est obligé de travailler, bien que ce soit théoriquement interdit aux enfants de son âge. Mais, après quelques jobs éphémères, il ne parvient plus à trouver d’emploi, précisément parce qu’il n’a pas… de papiers. Bref, Jalili prend ici le contre-pied de Danse de la poussière, en mettant la parole et la transaction au centre du récit. Un peu comme il l’avait fait avec Det, une petite fille (1994), qui tournait autour du problématique traitement médical d’un enfant paralysé. Mais cette fois, le traitement est sec, presque technique.
Don est une sorte de film-dossier, que ponctuent régulièrement des interrogatoires très factuels des personnages, menés par des interlocuteurs situés la plupart du temps hors champ, qui sont soit des assistants sociaux, soit le réalisateur lui-même. Ce n’est pas très clair. Ces questionnaires presque policiers sont le reflet d’un travail d’investigation préalable à l’écriture du scénario. Car il faut savoir que le cinéaste part des cas réels de personnes rencontrées dans la rue pour construire ses fictions. Une pratique vraisemblablement assez courante puisqu’on remarque ce genre de questions-réponses autoritaires dans d’autres films iraniens. La scène où l’on interroge tour à tour des enfants, qui travaillent avec Farhad (éphémèrement) dans une verrerie, sur leur âge et leur identité, ressemble beaucoup à un passage de La Briqueterie (1981), documentaire d’un certain Moghadassian dont le sujet est peut-être aussi à l’origine de Danse de la poussière. D’autre part, si Don est, à l’instar de la majorité des films iraniens, une fiction de facture documentaire, Jalili demeure un innovateur et s’autorise quelques expériences inhabituelles çà et là : montage très alterné, plan complètement flou, jeu graphique avec des marqueteries de tapis… Mais tout cela reste ponctuel et limité.
La vraie singularité de Don se situe ailleurs. D’abord dans le fait que la situation globale est catastrophique mais pas désespérée. Le père se drogue, le fils, soutien de la famille, n’a plus d’emploi, mais on ne tombe pas pour autant dans le drame, dans le pathos. Au contraire, le film fait l’éloge du compromis, du système D, voire d’une certaine amoralité. Farhad ment éhontément, il subtilise les papiers d’un voisin, mais c’est pour la bonne cause : pour travailler. Jalili va plus loin dans une scène que beaucoup de cinéastes occidentaux auraient eu des scrupules à tourner : celle où la mère ordonne à Farhad d’aller acheter de la dope pour son père. Certes, le dealer est absent, ou il fait la sourde oreille, mais cette scène représente une transgression assez rare dans un cinéma iranien, en général très éthique, pour qu’on y voie une forme d’ouverture, de réalisme moins dogmatique. De là à se mettre à aborder un sujet tabou dans cette cinématographie, la délinquance, il n’y a qu’un pas qui, lorsqu’il sera franchi par les réalisateurs iraniens, permettra de nuancer et d’enrichir leur palette réaliste.
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