Légende vivante. Disciple de Rouch, Safi Faye ausculte une Afrique coincée entre légendes ancestrales et réalités contemporaines. Née à Dakar, Safi Faye a déjà une filmographie conséquente, débutée en 1972. Institutrice durant sept ans au Sénégal, sa rencontre avec Jean Rouch sera décisive. Elle change de voie, décide de venir à Paris étudier l’ethnologie et […]
Légende vivante. Disciple de Rouch, Safi Faye ausculte une Afrique coincée entre légendes ancestrales et réalités contemporaines.
Née à Dakar, Safi Faye a déjà une filmographie conséquente, débutée en 1972. Institutrice durant sept ans au Sénégal, sa rencontre avec Jean Rouch sera décisive. Elle change de voie, décide de venir à Paris étudier l’ethnologie et l’anthropologie, et s’inscrit parallèlement à l’école Lumière. Récemment, le Festival international de films de femmes de Créteil lui a consacré une rétrospective. Mossane, son quatrième long métrage, a connu un tournage très mouvementé puisque le film, commencé en 1990, a été saisi par la justice. La réalisatrice a mis six ans à le terminer.
Décliné comme un mythe, Mossane tient à la fois de la tragédie grecque et du documentaire. En sérère, langue de la région de Mbissel (village où se déroule l’histoire), moss signifie « beauté ». A la fois déesse élue par les Pangools esprits d’outre-tombe et simple jeune fille de 14 ans, Mossane est une métaphore de la femme africaine, de l’Afrique écartelée entre ses traditions et la réalité d’aujourd’hui. Elle cristallise tous les désirs, toutes les convoitises des hommes alentour. Même son frère, alité pendant les trois quarts du film, fiévreux peut-être de cet amour qui le ronge, succombe à sa beauté. Mais ce charme, qui s’exerce à son insu, sera la perte de Mossane. Elle est à un âge où l’on marie les filles, où les dots se négocient. L’attrait qu’elle suscite fait monter les enchères et ses parents vont devenir de vrais rapaces. Atout essentiel pour assurer un avenir opulent à sa famille, elle va peu à peu se sentir dépossédée d’elle-même, n’être qu’un simple corps monnayable. On la vendra à Diogoye, un jeune homme riche qui travaille au Concorde Lafayette à Paris, alors qu’elle est amoureuse de Fara, étudiant sans argent dont l’université est en grève. Elle, qui a dû interrompre ses études, se sent menacée de toutes parts et dépendante, tandis que le village se referme lentement sur elle. Des chants en voix off viennent régulièrement ponctuer l’action dramatique, la commenter tels des choeurs antiques. Mossane prendra la parole publiquement au cours de son mariage, interrompant la cérémonie ; scène particulièrement révélatrice où la mariée est maintenue enfermée dans une pièce avec interdiction de parler, alors qu’à l’extérieur, les deux familles font passer l’argent de main en main sous les acclamations.
Au coeur du drame, qui souligne les contradictions actuelles de la société africaine, Safi Faye, dont la caméra est discrète et précise, enchâsse les scènes de la vie quotidienne de rites ancestraux comme les offrandes faites à l’arbre séculaire ou le sacrifice d’un boeuf pour appeler la pluie. Par ces scènes, souvent filmées légèrement en retrait, la réalisatrice parvient à incarner pleinement le Sénégal, donnant une épaisseur réelle à la légende qu’elle filme et au regard du spectateur.
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