Gens de Dublin. Avec Le Général, éternelle histoire du voleur qui nargue les gendarmes et modeste film en noir et blanc, John Boorman retrouve toutes ses couleurs. Comme les aventuriers de Délivrance devaient passer les rapides sans s’échouer, il faut “passer” les premières minutes du Général. Ce sont les plus faibles, celles où il est […]
Gens de Dublin. Avec Le Général, éternelle histoire du voleur qui nargue les gendarmes et modeste film en noir et blanc, John Boorman retrouve toutes ses couleurs.
Comme les aventuriers de Délivrance devaient passer les rapides sans s’échouer, il faut « passer » les premières minutes du Général. Ce sont les plus faibles, celles où il est facile de repérer quelques vilains tics boormaniens, quelques effets bien voyants destinés à nous faire prendre conscience du destin inéluctable d’un homme, du pont jeté entre passé et présent, et autres billevesées pataudes coutumières à l’auteur de Rangoon. On craint même un énième film à thèse sur l’Irlande. Mais c’est une erreur vite dissipée. Sous son titre gaullien, Le Général est en fait un bon film classique, construit de motifs anciens mais toujours efficaces, bien mené par un solide technicien, et illuminé par la présence d’un immense comédien, Brendan Gleeson, stupidement « oublié » par le jury du dernier Festival de Cannes. Avec ce film dont la modestie apparente dissimule un savoir-faire sans failles, Boorman semble tirer sa révérence aux grands sujets (sur)plombants et livre une nouvelle version très enlevée de l’affrontement éternel entre de sots gendarmes et un voleur flamboyant, loin des envolées prétendument « visionnaires » qu’apprécient tant ses thuriféraires acharnés. Ce qui ne l’empêche naturellement pas de continuer à illustrer, sous une forme moins ambitieuse et donc plus réussie que d’habitude, ses thèmes de toujours : le combat désespéré d’un individu archaïque contre une société fondée sur l’oubli et le système de résistance qu’il lui faut inventer.
En bon héros boormanien, le Général, prince des voleurs de Dublin, ennemi juré des institutions (IRA et Eglise compris) et vedette médiatico-populaire, poursuit un rêve familial élargi. Il voudrait d’abord protéger les gens de son quartier, puis les hommes de sa bande et enfin sa famille proprement dite. Et former ainsi une communauté à échelle et intérêts réduits, apte à résister à tous les pouvoirs, et dont il serait le potentat indiscuté et bienveillant. Les faibles unis contre les forts, pour mieux les ridiculiser. En s’inspirant des agissements d’un personnage réel dont il a été la victime (le Général l’a cambriolé et lui a chipé son disque d’or de Délivrance…), Boorman s’empare de tous les morceaux de bravoure de la tradition Robin des Bois et réussit à la perfection les scènes d’action classiques telles que poursuites et braquages. Comme il excelle à décrire tous les stratagèmes minutieux de son héros. Il renoue ainsi avec la geste d’un sous-genre cinématographique fécond (le film de voleurs) et parvient même à le renouveler à force d’habileté scénaristique. Expert en leurres et machinations, le Général est un metteur en scène de génie. Mais c’est surtout un acteur. Qui doit trouver la bonne attitude et le geste juste pour poursuivre son jeu dangereux. Or, Brendan Gleeson a trouvé un des plus beaux gestes de l’année. Caché sous sa capuche, les mains qui dissimulent son visage et les yeux fuyants, le Général se paie le luxe d’un ultime défi. Alors que tout le monde le connaît et le reconnaît, alors qu’il est suivi comme son ombre par la police et menacé par l’IRA, il persiste à se croire invisible. Il n’affronte jamais ses ennemis de face et les prive du plaisir de le fusiller du regard. Mal élevé, aussi peu respectueux des tableaux qu’il vole que des valeurs traditionnelles irlandaises, c’est un clown qui se démultiplie à loisir, un cabot magnifique qui ne fait jamais l’économie d’un nouveau truc. Mais Boorman ne se contente pas d’établir une connivence jouissive entre le spectateur fasciné et ce personnage bigger than life. Il montre aussi sa face la plus sombre, sa cruauté et sa paranoïa, ses excès despotiques et son échec final. « Je tenais à cette ambivalence du personnage et des sentiments qu’on peut éprouver pour lui. Ce qui me fascine, c’est le processus par lequel un être humain devient mythique. Le Général a fini par se faire piéger par son mythe. » En suivant un créateur artisanal qui rêve de faire tourner le monde autour de sa tribu, Boorman parle aussi de sa propre tentation du contrôle et de sa propension à s’entourer des siens pour fonctionner en autarcie créatrice. Ainsi, Le Général devient l’émouvant autoportrait imaginaire d’un petit maître qui se retrouve, d’un cinéaste habile qui retombe enfin sur ses pieds.
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