Alexander Zeldin signe l’ultime volet d’une trilogie sur les laissé·es-pour-compte : un drame choral et intimiste d’une justesse sidérante dans une banque alimentaire.
Le décor, hyper-réaliste, donne le la. C’est une salle municipale délabrée, crûment éclairée, avec ses néons blancs qui clignotent, ses radiateurs électriques cradingues, sa peinture jaunasse écaillée, ses chaises en plastique déglinguées et son toit qui n’en finit pas de fuir. C’est une banque alimentaire, quelque part en Angleterre, dans un quartier délaissé, frappée de plein fouet par l’austérité et menacée de fermeture par des projets immobiliers délirants (le livret de la pièce rappelle qu’entre 2015 et 2020, les budgets des conseils locaux qui financent ce type d’association en Grande-Bretagne ont été diminués de 77 %).
Ce sont des anciens taulards, des exilé·es, des gens en grande détresse psychologique qui se retrouvent autour de Hazel, une femme attachante à l’empathie débordante, pour manger un plat chaud, passer les fêtes, discuter de leurs problèmes et chanter, parfois, des tubes nineties autour d’un vieux synthé en plastique. On va les suivre pendant un an, à quatre moments différents, jusqu’à la fermeture du lieu, et sortir du théâtre ému par des sentiments mêlés ; de l’admiration devant la résilience de ces personnages croqués avec tant de virtuosité, et de la colère, évidemment, face à la catastrophe sociale dépeinte avec une précision chirurgicale.
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Récit choral
Artiste associé au Théâtre de l’Odéon-Théâtre de L’Europe, ancien assistant de Peter Brook, Alexander Zeldin (35 ans) signe ici l’ultime spectacle d’une trilogie intitulée Les Inégalités sur les laissé·es-pour-compte, après Beyond Caring et LOVE, et confirme son statut de jeune prodige du théâtre social britannique. La filiation avec Ken Loach semble évidente, pourtant, à l’envers de la méthode du cinéaste iconique, Alexander Zeldin ne cherche jamais à démontrer son parti pris politique. Avec une sensibilité hors pair pour le récit choral, il préfère laisser ses personnages, minés par leurs traumas, évoluer de façon organique au gré des discussions et des situations avec pudeur, délicatesse et humour, évitant le double écueil d’une bien-pensance lourdingue et d’un discours militant trop brutal.
Résultat, sur le plateau, l’intensité atteint des sommets avec la reprise décapante en chœur de You Get What You Give des New Radicals ; citons aussi la réconciliation élégante entre le vieil Anglais Bernard et le jeune immigré Anthony après une dispute homérique sur la question de l’auto-apitoiement. Malgré la catastrophe inéluctable, l’espoir renaît dans l’intimité de ces moments partagés. Un coup de maître.
Faith, Hope and Charity texte et mise en scène d’Alexander Zeldin, avec Lucy Black, Tia Dutt, Llewella Gideon, Joseph Langdon. Jusqu’au 26 juin, Odéon-Théâtre de l’Europe aux Ateliers Berthier, Paris