Steven Soderbergh prouve qu’il reste encore un peu de place dans le cinéma américain pour des films modestes conjuguant élégance et efficacité. Adapté d’un roman d’Elmore Leonard, porté par les remarquables Jennifer Lopez et George Clooney, Hors d’atteinte est la plus belle réussite d’un cinéaste inégal. Steven Soderbergh est un cinéaste intrigant, pour ne pas […]
Steven Soderbergh prouve qu’il reste encore un peu de place dans le cinéma américain pour des films modestes conjuguant élégance et efficacité. Adapté d’un roman d’Elmore Leonard, porté par les remarquables Jennifer Lopez et George Clooney, Hors d’atteinte est la plus belle réussite d’un cinéaste inégal.
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Steven Soderbergh est un cinéaste intrigant, pour ne pas dire insaisissable. Quel rapport en effet entre Sexe, mensonges et vidéo (première oeuvre et écrasante Palme d’or à Cannes en 1989) et Kafka (1991), entre King of the hill (1993, une chronique familiale dans l’Amérique de la Dépression) et Schizopolis (1997, une comédie expérimentale), si ce n’est le même réalisateur, qui aurait pu devenir le champion du cinéma indépendant après le triomphe de Sexe, mensonges et vidéo mais qui préféra des options risquées et pas toujours récompensées ? « Il y a deux explications à cela : je suis d’abord quelqu’un d’assez versatile et cela ne m’intéresse pas de réaliser toujours le même genre de film. De plus, je pense qu’il est important quand on est cinéaste d’avoir peur, d’essayer des choses qu’on n’est pas sûr de réussir, de prendre des risques. C’est ma façon de fonctionner. J’ai aussi beaucoup de chance de me permettre ce genre d’écart, de pouvoir passer d’un style à un autre. » Au risque de se perdre, Soderbergh cultive son éclectisme, une qualité peu répandue chez les réalisateurs américains de sa génération. « Certains cinéastes développent un style, une esthétique qui leur est propre et qu’ils utilisent de film en film. Leur travail consiste ensuite à trouver des histoires qui puissent convenir à leur style. Ma méthode est totalement différente. Je suis à la recherche de sujets intéressants et je réfléchis au style qui conviendrait le mieux pour les mettre en scène. C’est pour cela que mes films sont si différents et que je n’ai pas de style particulier.«
A force de changements de registre, de tâtonnements, d’expériences, Soderbergh devait finir par réaliser une oeuvre totalement satisfaisante. Ce film, son septième, s’intitule Hors d’atteinte (Out of sight) et c’est un polar. Soderbergh renoue avec le succès grâce à un film qui est paradoxalement le moins personnel de sa carrière, soit une pure commande qui ressemblerait plutôt à un cadeau. Steven Soderbergh analyse avec modestie sa participation à la réussite du film. « J’ai reçu un coup de fil d’Universal, une fin d’après-midi. Ils avaient un projet de film et ils cherchaient un réalisateur. J’ai lu le script dans la nuit et l’ai trouvé formidable. George (Clooney) était déjà impliqué dans le projet et j’ai tout de suite su que ce serait le meilleur rôle de sa carrière. J’ai appelé pour dire que j’adorais le script, que Clooney serait très bien et que j’étais la personne indiquée pour faire le film mais que ma réponse était non. J’ai prétexté que j’avais d’autres projets en cours et que je détestais interrompre un travail. J’ai fini par me faire convaincre qu’une telle opportunité n’allait pas se reproduire de sitôt et je suis revenu sur ma décision. Ce qui m’a séduit dans cette proposition, c’est que Hors d’atteinte est un film sans prétention. C’est pourtant pour moi le film de la maturité, justement parce qu’il ne se prend pas au sérieux. Quand vous êtes un jeune cinéaste, vous avez tendance à vous prendre et à prendre vos films trop au sérieux. Il y a dans Hors d’atteinte une énergie, une décontraction que j’aime bien, qui provient d’un certain recul, d’une distance que l’on prend par rapport aux choses et qui survient avec l’âge et l’expérience. Ce n’est pas le film d’un jeune homme, au sens péjoratif du mot. »
Adaptation d’un roman de l’écrivain en vogue Elmore Leonard, au même titre que Get shorty et Jackie Brown, Hors d’atteinte pourrait clore du propre aveu de Soderbergh une sorte de trilogie informelle. Mais si Get shorty était une farce, Jackie Brown une oeuvre (déjà) mélancolique, Hors d’atteinte emprunte le registre du film noir romantique. C’est l’histoire d’un braqueur de banques, qui opère sans arme et possède à son palmarès plus de deux cents casses. Incorrigible et talentueux dans son art, il est également très doué pour se faire pincer par la police et a connu de nombreux séjours en prison. Lors d’une audacieuse évasion, il kidnappe une femme flic et lui conte fleurette dans un coffre de voiture. A partir de cette brève rencontre, ils ne cesseront de jouer au chat et à la souris, amoureux l’un de l’autre, des deux côtés de la loi. « J’ai surtout aimé les personnages. Elmore Leonard est le premier à admettre que les histoires de ses romans sont de simples prétextes pour que ses personnages se rencontrent et passent du temps ensemble. Lorsque vous adaptez un de ses livres à l’écran, la chose la plus juste à faire est de procéder à quelques retouches dans le récit afin de le rendre plus cinématographique, mais guère davantage. Et surtout, garder en mémoire que les histoires de Leonard, ce sont avant tout ses personnages. »
Arraché aux sitcoms et aux superproductions super-médiocres où il était souvent mal à l’aise, George Clooney a enfin un vrai rôle à défendre et se révèle excellent. Quant à Jennifer Lopez, condamnée ces dernières années à (bien) jouer les Latinos sexy dans de mauvais films (U-turn, Anaconda), elle est franchement magnifique. « Toutes les scènes entre George et Jennifer étaient déjà dans le script, le résultat provient de l’alchimie qui s’est produite entre eux deux et qu’on ne peut jamais prévoir. On ne peut pas tricher à ce niveau. George et moi avons fait passer des auditions à de nombreuses actrices très connues. Jennifer est arrivée et elle a été formidable, à la fois très féminine et crédible en officier de police. Non seulement elle était parfaite, mais lors des répétitions, Clooney était meilleur lorsqu’il lui donnait la réplique. »
Soderbergh avait réalisé en 1995 A fleur de peau, un remake de Criss cross de Robert Siodmak partiellement ignoré par la critique et terrible échec public. Mais cette confrontation du cinéaste intellectuel avec la matière triviale du cinéma de genre laissait entrevoir des enjeux plus captivants que la lourdeur symbolique et visuelle de Kafka : « J’ai été très malheureux en faisant A fleur de peau, mais j’ai énormément appris. C’est peut-être le film le plus important que j’aie fait, car il m’a débarrassé de certaines mauvaises habitudes que je commençais à prendre ; j’étais devenu un formaliste. » Ainsi, contrairement aux apparences, l’écueil du formalisme est-il brillamment évité dans Hors d’atteinte.
Si l’on s’amuse au jeu inévitable des comparaisons avec Jackie Brown, on constate dans les deux films des orientations formelles distinctes ; une esthétique volontairement plate chez Tarantino, beaucoup d’éclat et une narration fragmentaire chez Soderbergh. Tarantino avait décidé de s’inspirer du filmage télévisuel dans son troisième film, tandis que l’ambition de Soderbergh est de s’inscrire dans une tradition du film noir, avec son recours précoce au flash-back (Wilder), ses récits embrouillés (Hawks), jusqu’à ses emprunts des tics de la modernité (Le Point de non-retour de Boorman). Hors d’atteinte
adopte cette façon compliquée de raconter une histoire simple, mais en la ramenant à sa fonction primordiale : l’efficacité. « La construction en flash-backs n’était ni dans le roman ni dans le premier scénario. Quand l’histoire était racontée de façon chronologique, il y avait trop d’informations et d’éléments à mettre en place ; cela mettait trop de temps pour introduire le personnage de Jennifer Lopez. On a essayé plusieurs solutions, mais le scénariste a trouvé que la meilleure était le flash-back. J’ai adoré cette idée, mais j’ai précisé que j’avais obtenu ce job en promettant à Universal que je n’allais pas faire une version à 48 millions de dollars de A fleur de peau ! On a donc récrit une version du scénario avec des flash-backs et on l’a soumise à Universal, qui n’a fait aucun commentaire. J’ai donc cessé de faire de la paranoïa. »
Petit miracle, le film de Soderbergh est là pour témoigner qu’entre les derniers grands films malades de Ferrara ou De Palma et la boursouflure commerciale d’un Ronin, il existe encore un peu de place dans le cinéma hollywoodien pour les produits bien manufacturés, réalisés et écrits avec élégance. Et qu’intelligemment dirigé et filmé, un couple de vedettes américaines est encore capable de charmer, de faire sourire ou d’émouvoir… Ça ne nous réconciliera peut-être pas avec le cinéma actuel des studios, mais cela nous donnera encore envie d’aller au cinéma le samedi soir, pour voir.
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