Fume, c’est du trash. Cinquième édition du désormais mythique Etrange Festival, la seule manifestation de l’été spécialisée dans le bronzage intégral de la rétine et des neurones. Au fond du bunker du Forum des Halles, transformé pour l’occasion en Galerie Farfouillette de l’extrêmement bizarre, sexe, gore, trash, satanique. Cochez la case de votre choix. Noir […]
Fume, c’est du trash. Cinquième édition du désormais mythique Etrange Festival, la seule manifestation de l’été spécialisée dans le bronzage intégral de la rétine et des neurones. Au fond du bunker du Forum des Halles, transformé pour l’occasion en Galerie Farfouillette de l’extrêmement bizarre, sexe, gore, trash, satanique. Cochez la case de votre choix.
Noir et blanc merdique, goudronneux, image pourrie, son à l’avenant, ou pire, mais musique guillerette… La vie quotidienne d’un jeune couple, activités ménagères : cuisine, crime, rangement. Crime ? Oui. Le duo, qui s’est formé à la faveur d’un meurtre, communie joyeusement en trucidant un quidam à la maison pour passer le temps. Bien sûr, ça dérape : elle est toquée, alors elle finit par étriper son petit ami le jour où il commet un impair (après, elle regrette…). Cela n’étant qu’un simple aperçu d’I was a teenage serial killer, court métrage déglingué et arty de Sarah Jacobson, typique de l’Etrange Festival. Cette année, quelques thèmes chocs au programme : « Apocalypse culture », avec notamment Tokyo fist de Shinya Tsukamoto, pape de la mouvance industrielle destroy (cf. Tetsuo), ou « Satan superstar ». Plus quelques nuits blanches : « Gay », « Trash », « Maniaques » (avec Driller killer, premier opus officiel de et avec Abel Ferrara, et Mort à l’aube de Jim Van Bebber, inédit en salles en raison de sa violence), « Blaxploitation » option drogue, avec des curiosités du style Black Gestapo, où officie une milice noire paranazie. En sus, des hommages à des cinéastes méconnus comme Hideo Gosha, maître bis du chambara nippon ; Juraj Herz, auteur tchèque du sarcastique Incinérateur de cadavres ; et enfin Jack Hill, présent dans la nuit « Blaxploitation » et la section « Femmes criminelles, chapitre 2 », sur laquelle j’ai jeté mon dévolu… Pourquoi ? Parce que ces dames ont toujours une revanche ancestrale à prendre sur les mecs, ce qui stimule leur imagination… et notre sens esthétique.
Prenez la tueuse solitaire de Froide comme la mort (1996) de Patrick Leung. Dès le générique, elle pénètre dans une glacière nimbée de lumière bleutée, casse un bloc de glace et en extrait un paquet emballé dans du plastique noir : un fusil à lunette, avec lequel elle se met à dégommer des machos participant à une soirée strip. Une femme « samouraï » froide comme la mort, certes, mais en même temps plus gracieuse et romantique que Delon. Un « joli fantôme », comme dit celui qu’elle aime en secret, un banal tenancier de snack. Le cinéaste parvient à allier ici la délicatesse féminine avec un spleen nihiliste caractéristique du cinéma de Hong-Kong. Ultramoderne solitude. Patrick Leung est en quelque sorte le chaînon manquant entre Wong Kar-wai et John Woo dont il fut l’assistant. Si son cinéma fait alterner, comme celui de Woo, violence stylisée et mélancolie (parfois) à la limite de la mièvrerie, l’élève dépasse le maître dans la mesure où, comme Wong Kar-wai, il sait camper son histoire chevaleresque dans un contexte urbain beaucoup plus prosaïque. De plus, avec le morceau d’anthologie final, tuerie presque exténuante de surenchère balistique opposant l’héroïne et des gangsters coréens et qui aboutit à un monstrueux enchevêtrement automobile, Leung se montre à la hauteur des prouesses pyrotechniques de ses compatriotes les plus roués. Cinéaste à suivre…
Nettement moins brillant sur la forme, Jack Hill, artisan de série C, à la limite du Z, exhumé il y a peu par un réalisateur vidéophage dont le nom commence par un T, est une sorte d’Ed Wood qui aurait réussi (relativement). Mais tout en se vouant aux genres trash des années 60 et 70 blaxploitation, horreur, films sur la jeunesse dévoyée , Hill est politiquement subversif et flirte avec le gauchisme dans des bluettes violentes mêlant militantisme noir et féminisme. Un gaucho de circonstance à la limite de la gaucherie, mais plutôt doué pour la transgression sociale. Voir ses films blacks dont le célèbreCoffy, avec Pam Grier, la panthère de Harlem ou ses deux brûlots présentés dans la section « Femmes criminelles », dont Spider baby (1964), qui ressemble à une version pernicieuse de la série télé Addams family. Calqué sur le dispositif de The Old dark house (1932), première parodie du genre horrifique par James Whale (auteur du premier Frankenstein), Spider baby dépeint les mésaventures de quelques pékins qui pénètrent dans une maisonnée très dégénérée : Virginia, adolescente obsédée par les araignées, capture les imprudents visiteurs avec un filet, puis les larde de coups de couteau ; Elisabeth, sa soeur très teigne, l’assiste en râlant ; Ralf, leur frère gaga, viole sa tante vêtue d’un déshabillé vaporeux ; le tout chapeauté complaisamment par Bruno, chauffeur de la famille, joué par Lon Chaney Jr., star du genre en fin de carrière… La scène la plus drolatique étant le repas où l’on sert aux invités, qui devisent gaiement sur les monstres du cinéma d’horreur, un chat et des insectes attrapés dans le jardin… Mais outre ces saines provocations à l’égard d’une société réactionnaire et un éloge implicite de l’adultère et de la liberté sexuelle, le film reste désespérément plat, sans brio.
Idem pour le supérieur Switchblade sisters (1975), du même Jack Hill. Le film fait lui aussi penser à une transposition déviante d’une série télé, un Happy days « dégénéré ». Ça commence même à la Scorpio rising : une ado avec casquette de biker s’étudie devant le miroir de sa coiffeuse, puis aiguise son cran d’arrêt (= switchblade)… Suivent les distractions d’une bande de copines acoquinées avec un gang masculin. Graine de violence option pattes d’eph’ 70’s, le film annonce aussi les excès de la délinquance californienne dernier cri de Colors ou Boyz’n the hood… Décrivant les conflits externes et internes de ce groupe de lycéennes enragées, le cinéaste accumule les pires situations : baston en prison, viols, prostitution lycéenne, tueries, guérilla urbaine, etc. Mais le hic avec Hill, c’est que les pires exactions passent comme des lettres à la poste tant elles sont présentées sans pathos, avec un ton boy-scout, des couleurs pimpantes. Tout y est désamorcé par l’humour. Une fille fait la pute dans les WC du lycée, maquée par un membre du gang, qui plaisante avec un client en le traitant d’Einstein… On n’est même pas surpris quand la délinquance adolescente glisse sur la pente politico-féministe. Leurs mecs ayant été décimés lors d’une fusillade, les filles s’associent à une milice de femmes blacks maos. Discours féministes, portraits et citations du Grand Timonier à la clé ! Mais si les films de Hill manient des concepts qui semblent leur échapper, le cinéaste n’est pas un simple héraut de la contre-culture illustrant bêtement les pulsions libertaires de son temps. Il sait se montrer élégant, comme dans le beau duel final à l’arme blanche entre l’héroïne et sa rivale, montré en ombres chinoises.
On verra un autre film à résonance politique dans cette section : Les Abysses (1962) de Nico Papatakis, inspiré du fait divers criminel dont Genet a tiré Les Bonnes. Et enfin, cerise sur le gâteau, un long métrage inédit de Lars von Trier, Médée (1988). Absent de sa filmographie officielle, le film fut tourné pour la télévision danoise d’après un scénario de Carl Dreyer. Une adaptation de la tragédie d’Euripide que Dreyer n’eut pas le temps de réaliser. Devenu à son tour la figure de proue du cinéma danois, von Trier a repris naturellement le flambeau du maître tutélaire, mais sans réellement en partager les préoccupations religieuses… Il en résulte un film d’une pureté impressionnante, plus proche de Bergman regard impitoyable sur les rapports humains et de Tarkovski travail plastique sur la matière, les éléments, la nature que de Dreyer. Mais au diable les références, ce qui frappe avant tout, c’est la façon magistrale dont le cinéaste s’approprie ce mythe grec sur la mater dolorosa méditerranéenne incarnée par Médée et en fait un archaïque conte viking, baigné dans l’humidité, les brumes du Nord et battu par les vents. Un drame d’une grande force abstraite, où les intérieurs sont figurés par des caves moyenâgeuses éclairées à la torche et les extérieurs par des paysages immenses et nus… Economie de moyens, austérité impressionnante, transcendées par la sophistication du filmage : splendides plans d’hélico suivant la course folle de Jason à cheval dans la prairie où il découvre ses enfants pendus par Médée (son ex-femme désespérée par l’ostracisme dont elle est l’objet), plongées verticales où Jason se débat dans des herbes agitées d’un souffle incessant qui les fait ressembler soit à des algues, soit à une toison animale. Enchaînés à leur destin imparable, les héros tragiques deviennent des fourmis aveugles s’agitant dans un univers surdimensionné. Evidemment, on peut chipoter, estimer que tout cela est un brin trop graphique, trop esthète, et manque un peu de chair, mais la beauté du film reste irréfutable.
L’Etrange Festival est donc bien un module d’exploration idéal des marges les plus obscures, les plus insanes du cinéma de fiction.
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