Doit-on souffrir pour faire un film ? 1966 : Godard a tourné onze longs métrages en sept ans. De Deux ou trois choses que je sais d’elle, il dit » (…) c’est un peu comme si je voulais un essai sociologique en forme de roman, et pour le faire, je n’ai à ma disposition que […]
Doit-on souffrir pour faire un film ? 1966 : Godard a tourné onze longs métrages en sept ans. De Deux ou trois choses que je sais d’elle, il dit » (…) c’est un peu comme si je voulais un essai sociologique en forme de roman, et pour le faire, je n’ai à ma disposition que des notes de musique. Est-ce donc cela le cinéma ? Et ai-je raison de vouloir continuer à en faire ? » Epuisé, englouti sous son travail, notre héros ? Craint-il d’avoir découvert ses propres limites ? Godard est mûr pour ne plus filmer désormais comme il s’y abandonnerait que ce qui s’offre à lui, la vie, et confondre son labeur avec elle. Le monde n’a qu’à se laisser regarder, se tenir coi, bien se tenir, le cinéma débarque, faisant feu de tout bois, et tout est son objectif. Décomposant la vie en trois éléments (réalité objective, subjectivité et loi d’ensemble), JLG pense sincèrement naïvement ? pouvoir la retrouver telle qu’en elle-même, là, partout, autour. Dans une sorte de torpeur généralisée se joue plein pot un rituel de transsubstantiation brechtien : l’actrice, son corps et son sang se métamorphosent en direct (par le seul effet du verbe) en personnage ; la pensée entre en jeu. Le style tend à rendre les formes humaines, ou le contraire. Les villes changent et la vie s’ennuie dans les cafés (dans deux ans, Mai) ; les coeurs, les âmes grincent comme des portes. Alors, vive l’ivresse : trente ans après, le sujet la construction de grands ensembles et la vie qu’on y mène, une prostitution généralisée est un sujet comme un autre (cette cité peu riante à la mode gaulliste, proprette, « années 60 », est filmée comme Tati filmait les gratte-ciel et de Broca, Brasília) et fait frémir (le pire arrivait). Godard, sans bouteille, filme comme il respire, avec la sérénité et la patience de la fatigue, sans plus aucune douleur, ou à son seuil, parce qu’il n’y a plus d’autre solution pour survivre. Alors, les femmes, les hommes, l’argent, le travail, la prostitution, l’aliénation, tout, tout cela, c’est lui, mais aussi l’annonce de ses dix ou vingt autres films à venir : le produit dérivé est le film lui-même… L’enfance de l’art a-t-elle 36 ans ? Un film, pour être adulte, facile et évident, doit-il être fabriqué à bout de force ? Faut-il avoir mal pour filmer, pour dire sa souffrance, celle que vous inspire le monde, celle du monde, ou suffit-il au contraire d’ouvrir l’oeil et le bon ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}