Une programmation magnifique pour une 75e édition marquée par la dystopie et qui laisse espérer un été culturel rejouissant. À moins que les nouvelles formes de mobilisation d’intermittent.es ne viennent troubler la fête.
Après plus d’une année terrible, marquée par des fermetures de salles, des déprogrammations de spectacles et de festivals, des choix politiques incompréhensibles, des occupations de lieux tendues, des luttes parfois fratricides entre directeur·trices et intermittent·es, la superbe programmation du 75e Festival d’Avignon s’impose comme le plus beau plan de relance que l’on puisse imaginer pour le spectacle vivant.
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Il était temps ! Certes, rien n’est encore complètement gagné ; l’apparition d’un nouveau variant pourrait remettre le pays sous cloche, balayant une fois de plus nos désirs de théâtre, de danse, de performances, d’expositions, mais aussi de fêtes et de retrouvailles. Mais l’heure est à l’optimisme.
“Se souvenir de l’avenir” écrit Olivier Py
“La manifestation aura bien lieu, confirme le directeur Olivier Py dans une interview à retrouver dans notre cahier complémentaire consacré au festival. La question reste de savoir avec quelles jauges, quelle circulation dans la ville et quelles obligations sanitaires.”
Aujourd’hui, pourtant, le scénario d’une ouverture totale est encore envisageable (comme dans le off) avec pas moins de 47 spectacles – dont 39 créations et 29 productions ou coproductions venues du monde entier –, 131500 places mises en vente et 56 artistes (et une parité tenue) en phase avec nos inquiétudes, nos aspirations et notre besoin de passer enfin à autre chose.
Le destin de deux familles ayant cherché à inventer une nouvelle communauté dans la taïga
“Se souvenir de l’avenir” : comme l’écrit Olivier Py dans l’édito du festival avec son goût pour les injonctions paradoxales, cette programmation est d’abord marquée par un genre, la dystopie, très en vogue sur les écrans, mais assez peu sur les planches. Caroline Guiela Nguyen imagine des centres pour consoler les humains après la disparition inexplicable d’une partie de la population mondiale (Fraternité, conte fantastique).
Interroger le passé afin d’envisager d’autres mondes possibles
Chloé Dabert donne à voir le quotidien d’une femme emprisonnée derrière une barrière translucide (Le Mur invisible). Anne-Cécile Vandalem raconte le destin de deux familles ayant cherché à inventer une nouvelle communauté dans la taïga (Kingdom). Sans oublier les créateur·trices Théo Mercier (Outremonde) – qui signe aussi l’affiche du festival –, Alice Laloy (Pinocchio(live)#2), Fabrice Murgia (La Dernière Nuit du monde) et Christiane Jatahy (Entre chien et loup), qui, chacun·e à sa manière, mettent en scène des expériences limites, des récits d’apocalypses, des histoires de deuil et l’avènement nécessaire de nouveaux paradigmes, entre révolution et résilience. Cette thématique sera d’ailleurs directement abordée par les philosophes Edgar Morin et Nicolas Truong dans le cadre d’un débat qui s’annonce passionnant.
C’est dans ce contexte que s’inscrit le grand classique du théâtre russe, La Cerisaie, avec Isabelle Huppert, qui se présente comme le blockbuster du in. Le Portugais Tiago Rodrigues aura la lourde tâche de faire entendre les angoisses tchekhoviennes face à l’avènement d’un monde nouveau dans l’exigeante Cour d’honneur du Palais des Papes. Une pièce que nous attendons avec impatience : ce sera la première fois que la comédienne, initiatrice du projet, jouera Tchekhov.
Interroger le passé afin d’envisager d’autres mondes possibles, plus justes, plus équitables et féministes, c’est aussi l’objectif que s’est fixé Eva Doumbia. Avec Autophagies (Histoires de bananes, riz, tomates, cacahuètes, palmiers. Et puis des fruits, du sucre, du chocolat), la metteuse en scène décortique la généalogie géopolitique à l’œuvre dans nos assiettes. Le jeune Palestinien Bashar Murkus, vivant en Israël, réfléchit avec Le Musée à la question de l’origine du mal au Moyen-Orient, osant la comparaison entre la violence d’État et la violence terroriste.
Dix-sept interprètes pour penser l’avenir des mobilisations politiques
Côte danse, le Flamand Jan Martens met en scène dix-sept interprètes au plateau pour penser l’avenir des mobilisations politiques dans Any Attempt Will End in Crushed Bodies and Shattered Bones. Phia Ménard proposera enfin l’intégralité de sa géniale Trilogie des contes immoraux (pour Europe), une performance à la lisière du cirque, des arts plastiques et du théâtre, autour du destin européen.
Il y aurait encore tant d’autres spectacles à citer… Derrière ces projets réjouissants, le problème bien réel du mouvement des occupations de lieux s’invitera certainement au festival. En effet, les revendications légitimes des intermittent·es et précaires, à commencer par le retrait de la réforme de l’assurance chômage, n’ont toujours pas été entendues. Reste à savoir quelle forme prendra la mobilisation (discours, manifestations, perturbations, blocages ?). À ce jour, l’avenir social du spectacle vivant est peut-être encore plus instable que l’avenir sanitaire du pays.
Festival d’Avignon 2021 Du 5 au 25 juillet
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