En rassemblant ses textes sur le cinéma comme il élaborerait une programmation de films, Dominique Païni finit par écrire entre les lignes sa singulière autobiographie. Le profil de Kim Novak en couverture est comme un avertissement au vertige : Le Cinéma, un art moderne sera un livre double, un brillant jeu de miroirs où le […]
En rassemblant ses textes sur le cinéma comme il élaborerait une programmation de films, Dominique Païni finit par écrire entre les lignes sa singulière autobiographie.
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Le profil de Kim Novak en couverture est comme un avertissement au vertige : Le Cinéma, un art moderne sera un livre double, un brillant jeu de miroirs où le travail de l’écriture réfléchit la pensée du cinéma. Dominique Païni, on le sait, est directeur de la Cinémathèque française. S’il fut aussi animateur de ciné-club, exploitant de salle (pas n’importe laquelle : le mythique Studio 43 de la rue du Faubourg-Montmartre), distributeur et producteur de films (de Juliet Berto et du couple Straub-Huillet, par exemple), il s’est toujours défini, avant tout, comme un « montreur de films ». C’est ce souci sans cesse perpétué de donner à voir qui a déclenché son envie d’écrire, d’où sont nés les textes ici réunis, rédigés de 1985 à 1996. Ceux-ci proposent un parcours de la modernité fragmenté en autant de figures, libres et parfois sinueuses, souvent virtuoses. Figures quasi rhétoriques, d’abord : l’inachèvement, le miroitement, le portrait sont étudiés par Païni comme les principes formels d’une esthétique spécifiquement moderne, mais qu’on trouve déjà à l’œuvre, selon lui, dans l’utilisation que fait par exemple Jean Grémillon de l’acteur Raimu (mais qui se souvient de L’Etrange Monsieur Victor ?). Figures au sens de silhouettes, ensuite, puisque à partir des contours de leurs initiales J.-M. S., J.-L. G., J.-D. P. Païni dessine autour de la trinité Straub-Godard-Pollet une communauté hölderlinienne de cinéastes radicalement modernes, qu’il élargit dans son « autre histoire du cinéma français » à des portraits parfois inattendus de précurseurs ou émigrés de passage, de Louis Feuillade à Billy Wilder, qui rompent la logique d’un cloisonnement géographique et temporel entre la modernité et le cinéma « classique ». Figure singulière, enfin, si l’on admet que c’est bien le visage de l’auteur qui apparaît, au bout du compte, derrière ce jeu d’associations propre au programmateur. Le dernier chapitre, qui problématise la question d’un musée du Cinéma à partir du travail de « comparatiste » d’Henri Langlois (créateur de la Cinémathèque française et père spirituel de Païni), porte à cet égard un titre parfaitement explicite : « Programmer, écrire ». Païni y développe, à l’ombre de Malraux, l’idée qui constitue la trame de son livre : « La programmation est une activité mentale (et littéraire) qui associe des souvenirs de films. » C’est bien en effet ce principe d’association qui guide l’entreprise littéraire de l’auteur : assemblage de textes d’origines diverses (souvenirs écrits plutôt qu’écran), collage de citations et de références variées (Barthes, Bazin, Bataille, Blanchot, Benjamin… ils sont venus, ils sont tous là !), montage de films et de formes empruntées à d’autres arts (la peinture, en particulier), le livre de Païni répond à un programme résolument moderne. Sa très forte originalité tient ainsi à la coïncidence assez godardienne entre sa forme et son propos : la programmation de films est en soi une écriture, redoublée par l’écriture sur les films programmés. Comment s’étonner alors de l’importance qu’accorde Païni à Vertigo, dont une analyse extrêmement serrée sert à illustrer la figure du portrait ? S’il étudie chez Hitchcock « une mise en scène qui serait mise en portrait », fondée sur un système de duplication des simulacres aboutissant à la révélation de l’ombre, c’est comme pour désigner une ligne de fuite de sa propre entreprise, tendue au travers du musée imaginaire des films confrontés vers l’unique modèle d’un tableau absent : un autoportrait ? Qu’est-ce donc en effet qui se révèle, dans le double mouvement de l’écriture (métaphorique) d’un programme de films et la rédaction (réelle) d’un livre sur le cinéma ? Non pas, en réalité, le masque vide d’un simple portrait de soi, mais peut-être, caché dans les interstices et les coutures de cet essai qui affiche ses traces de colle comme un art poétique, l’identité dispersée d’un moi véritable. En ce sens, le livre de Dominique Païni a la beauté moderne d’une très singulière autobiographie.
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