“Buñuel est le seul étranger que le Mexique n’a pas dompté”, a pu avancer Arturo Ripstein. Fort opportunément, les 9es Rencontres de cinémas d’Amérique latine de Toulouse ont permis à la fois de goûter la puissance cinématographique de Ripstein via La Femme du port et de mesurer la pertinence de son jugement en programmant l’intégralité […]
« Buñuel est le seul étranger que le Mexique n’a pas dompté », a pu avancer Arturo Ripstein. Fort opportunément, les 9es Rencontres de cinémas d’Amérique latine de Toulouse ont permis à la fois de goûter la puissance cinématographique de Ripstein via La Femme du port et de mesurer la pertinence de son jugement en programmant l’intégralité de la période mexicaine de don Luis. Toutefois, comme lors des précédentes éditions, les Rencontres se fixaient comme objectif prioritaire de déployer un large éventail de récentes productions et en attente d’une hypothétique distribution française. Au vu de la richesse du plateau présenté, on se permettra, la tête pleine de peliculas, d’insister sur le fait que plusieurs films découverts cette année commandent d’offrir à un vaste public l’accès à ces images autres. Berceau du cinema novo, le Brésil servira de point de départ idéal à un tour d’horizon exalté. Avec Corisco et Dada, Rosemberg Cariry perpétue la légende d’un couple de hors-la-loi des années 30, traqués sans relâche par un policier aussi épris de postérité qu’acharné à leur perte. Placé sous les caniculaires auspices d’un soleil de feu, Corisco et Dada ressemble à un nordestern bigarré où de furieuses giclées de violence alternent avec des rafales cinglantes de poésie. Egalement brésilien mais se déroulant pour l’essentiel à Lisbonne, Terre étrangère de Walter Salles Jr conjugue une sombre affaire de trafic de pierres précieuses sur un mode profondément désenchanté, induit par le tenace sentiment de déracinement qui colle aux personnages et leur fait miroiter comme un éden ces terres étrangères, qu’on sait pourtant depuis Jim Jarmusch bien plus étranges que le paradis. Non loin du Brésil, Alejandro Agresti, accaparant un procédé cher à Robert Altman, prend le pouls de la capitale argentine au poignet de plusieurs de ses habitants qui se croiseront en partie à l’heure d’une de ces tragédies banales dont les grandes villes sont d’insatiables consommatrices. Plus soucieux de capter des souffles de vie que de tirer une quelconque sonnette d’alarme à l’œil, Buenos Aires vice-versa (déjà montré dans la section « Un Certain regard » à Cannes en 1996) se donne à voir et à entendre comme une polyphonie corsée, un entrelacs fébrile de trajectoires syncopées, un agrégat de solitudes irréconciliables malgré la magie toujours possible d’une rencontre. Ne s’effaceront pas de sitôt des scènes aussi remuantes que le jeu à huis clos entre une jeune souris aveugle et un gros chat libidineux, ancien sbire de la dictature militaire. Tout autant prodigue en émotions fortes, Sous la peau du Péruvien Francisco Lombardi qui commence alors qu’une mystérieuse série de crimes par décapitation bouleverse la quiétude d’un trou perdu au milieu d’imposants vestiges archéologiques de l’époque pré-Incas. En feignant de s’engager sur la voie du film d’enquête classique, Lombardi aiguille à plaisir le spectateur sur une fausse piste pour mieux le précipiter ensuite dans le puits sans fond de la conscience des deux principaux protagonistes. Ténébreuse autopsie d’un couple, Sous la peau agit comme un impitoyable miroir nous reflétant l’image de nos pulsions plus ou moins contrôlées. C’est en repassant par le Mexique que l’on dénichera la perle noire de ce festival. Ainsi que l’avait fait Ripstein pour Principio y fin, Jorge Fons a emprunté à Naguib Mahfouz la trame de La Ruelle des miracles et l’a transposée dans un quartier populaire de Mexico. A la paresseuse facilité du chromo pittoresque, Jorge Fons oppose l’exigence, qui se manifeste dans la sophistication du récit, et la lucidité, qui n’entrave en rien l’expression d’un humanisme débordant. En 2 h 20 où la plus minime baisse d’intensité n’obtient pas droit de cité, Jorge Fons embrasse d’un regard chaleureux le petit monde de la ruelle des miracles et brosse une comédie humaine trop humaine pour s’achever autrement que dans un bain de sang et de larmes.
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