Avec cette immersion fiévreuse dans la psyché humaine, le réalisateur s’affirme comme l’un des auteurs les plus originaux du jeune cinéma français.
De la nouvelle génération de réalisateur·trices français·es ayant signé leur premier film durant la dernière décennie, Arthur Harari, découvert en 2016 avec Diamant noir, est sans aucun doute le plus américain. S’il n’est pas le seul à puiser son influence outre-Atlantique, le jeune auteur est parvenu, en seulement deux longs métrages, à opérer un dialogue particulièrement intense avec tout un pan du cinéma US.
Au-delà de l’irrésistible force d’attraction que le modèle américain est capable de générer, ce rapprochement semble voué à un impératif : tuer Maurice Pialat. Grand admirateur du réalisateur, dont l’ombre s’agite particulièrement sur ses premiers travaux, Harari s’est écarté petit à petit d’un des pères du cinéma français pour explorer d’autre territoires.
De l’obsession à la folie
Dans Onoda, ce meurtre symbolique produit un effet aussi immédiat que saisissant : jamais cette nouvelle génération de cinéastes n’était parvenue à un tel degré de dépaysement, à une telle déconstruction de ce à quoi doit ressembler un film d’un·e jeune auteur·trice français·e.
S’il faut fuir le père, c’est pour mieux retrouver une autre figure tutélaire. Après son premier film qui évoquait Little Odessa de James Gray, Harari ne fait que confirmer les traits de cette nouvelle généalogie. Autant dans sa mise en scène fiévreuse que dans la manière de rendre avec une telle patience déterminée l’obsession de son protagoniste, Onoda dialogue cette fois-ci avec un autre film du cinéaste new-yorkais : The Lost City of Z. Le devoir devenant obsession puis folie, c’est aussi ce que raconte Onoda.
C’est également un vibrant portrait de la camaraderie masculine, particulièrement hawksien dans la manière de filmer l’amitié comme une histoire d’amour et de multiplier les ambiguïtés sexuelles
Mais là où le film revêt une charge puissamment réflexive, c’est qu’en retraçant l’itinéraire de son héros, il en restitue, en souterrain, celui de son auteur. Lorsqu’Onoda – un jeune soldat japonais pendant la Seconde Guerre mondiale – se soustrait à l’autorité de son père pour se raccrocher à une autre figure (un instructeur militaire auquel il voue une fidélité sans faille), le film décrit la trajectoire esthétique effectuée par le cinéma de Harari, de Pialat vers Gray.
Si cette connexion avec le cinéaste new-yorkais est essentielle, il ne faudrait pourtant pas réduire Onoda qu’à cela. C’est aussi un regard enivrant sur la perte de contrôle du réel et le dangereux pouvoir de la fiction. C’est également un vibrant portrait de la camaraderie masculine, particulièrement hawksien dans la manière de filmer l’amitié comme une histoire d’amour et de multiplier les ambiguïtés sexuelles entre ses personnages (notamment une scène d’administration de soins filmée comme une fellation). Une multiplicité de motifs qui questionnent, sans jamais tenter de l’élucider, le mystère Onoda, et laissent un sentiment de vertige particulièrement tenace après la projection.
Onoda d’Arthur Harari, avec Yûya Endô, Yûya Matsuura, Shinsuke Katô (Fr., Jap., All., Bel., It., Camb., 2021, 2h45). En salle le 21 juillet