Ils l’ont tous dit, de Welles à Bresson : le cinéma est un art sonore. Godard, un peu plus fort que les autres. On l’attendait, cette preuve par l’oreille, moitié par désir, moitié par défi. Est-ce la complicité d’ECM qui nous vaut aujourd’hui cette bande-son intégrale ? Ou le fait que JLG ait vu son […]
Ils l’ont tous dit, de Welles à Bresson : le cinéma est un art sonore. Godard, un peu plus fort que les autres. On l’attendait, cette preuve par l’oreille, moitié par désir, moitié par défi. Est-ce la complicité d’ECM qui nous vaut aujourd’hui cette bande-son intégrale ? Ou le fait que JLG ait vu son paradoxe d’un film fait pour les aveugles pris au mot par Claire Bartoli, qui relatait dans Trafic son écoute de spectatrice sans que le film ne lui livre davantage son secret ? En tout cas, cette première expérience de Godard compositeur vient confirmer deux ou trois choses qu’il disait de lui.
C’est d’abord une très forte impression de présence, sans plus la distance du regard et de la dissociation des sens. Dans le flou du souvenir, plus de risque d’être distrait par le visible, de se demander ce qui était dans le plan (au point que l’irruption d’un oiseau fait aussi peur que chez Hitchcock). Rien ne subsiste ici des idées reçues sur la dimension sonore comme inassignable ou évanescente. Tout relève au contraire d’une matérialité qui réconcilie les perceptions et dont on est tenté de rendre compte en termes de plastique, et singulièrement de sculpture moins art visuel que tactile, bien sûr. Surtout, cette synesthésie dessine une mise en scène de l’espace, où la notion de masses sonores retrouve toute sa pertinence. Si l’audition est un voyage, c’est moins comme trajectoire dans le temps (d’ailleurs étrangement dilaté et immobile) que comme arpentage d’un paysage. D’une précision qui dépasse notre pauvre capacité à distinguer à l’oreille une Mercedes d’une Jaguar. Bande-son intégrale, disions-nous. Forcément, mais c’est là l’autre surprise : une unité organique des sons, malgré tous les samples, qui vient faire voler en éclats l’idée d’éclatement, la « discontinuité godardienne ». Comme si à la vision des films c’était l’image qui avait un statut parasite. On n’a pas pour autant plus de repères : le récit est quelque part dans les silences, les dialogues sont moins linéaires qu’ils ne circulent (démocratiquement ?) et les rares éclairs narratifs sont justement ceux qui relèvent du collage hétérogène plus ou moins abrupt, de la fluide transformation d’un violon en sillage d’automobile au « Vous êtes blessé ? » qui vient ponctuer un air de Patti Smith. Reste que la profondeur sonore restitue la hiérarchie sociale (valets proches, maîtres lointains puis envahissants), en digne équivalent des corridors de La Règle du jeu. Surtout, ce réseau est un espace mental : mémoire de livres, noms aimés qui ramènent à Chandler, à Mankiewicz ; et sons qui font leur chemin dans nos têtes. Comme cet air fugace de Paolo Conte, qui soudain redevient audible : nous croyions fredonner, nous étions mis en scène.
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