Krystian Lupa adapte le chef-d’oeuvre de Lars Norén, « Catégorie 3.1 » : une expression brillante de la solitude de paumés attachants qui se voudraient artistes et stars.
« Eh, tu parles à qui ? » La question pourrait être agressive. Elle exprime surtout la difficulté à communiquer. Déjà, les personnages de cette pièce ont du mal à tenir sur leurs jambes. La vie leur échappe. Ils n’ont pas trouvé le bon chemin pour entrer dans la société. Ils appartiennent, comme l’indique le titre choisi par Lars Norén, à la catégorie 3.1, classification administrative qui désigne à Stockholm les marginaux.
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Drogués, alcooliques, schizophrènes, ils errent comme des épaves dans un lieu qui évoque un parking souterrain ou un hangar désaffecté. Sur le sol, des flaques de pisse. Des matelas traînent çà et là. Les murs sont couverts de graffitis.
« Qui suis-je ? » ou « Désobéissance », peut-on notamment lire. Ce qui signifie qu’à l’égarement est lié aussi un sentiment de révolte. Le type qui vient de poser la question a le visage noyé dans une épaisse barbe noire. Ces quelques mots suffisent à lui donner un semblant d’assurance. Avec cette mise en scène d’une des plus grandes pièces de Lars Norén, Krystian Lupa réussit à articuler la solitude de personnages plus ou moins enfermés en eux-mêmes avec le groupe au sein duquel ils évoluent.
Créé au théâtre de Vidy à Lausanne, ce spectacle est le fruit d’un travail avec de jeunes acteurs issus de différentes écoles en France et en Suisse. Lupa, visiblement très en forme, y poursuit l’aventure entamée avec Factory 2 sur Andy Warhol et Persona Marilyn sur Marilyn Monroe.
On y retrouve, entre autres, l’utilisation de la vidéo, avec la présence de deux écrans suspendus à l’avant-scène. Comment ne pas penser à la Factory, par exemple, devant cette séquence à la fois drôle et déjantée où une poignée de personnages tente dans un état second de tourner un porno avec une caméra volée ? La différence étant ici l’absence d’un Andy Warhol pour aimer ces malheureux et les aider à se dépasser.
Evoquant des anges déchus, ces paumés attachants se voudraient poètes, stars, artistes. Sauf qu’ils se débattent dans les marécages d’une vie sans horizon, leurs rêves de célébrité noyés dans les brumes de l’alcool et de la drogue. D’ailleurs, l’image à l’écran évoque souvent un miroir. « Il y a de l’espoir à l’infini, seulement il n’y en a pas pour nous », dit l’un, citant approximativement Kafka. D’une précision remarquable dans la direction d’acteur, ce travail rappelle par moments les clochards célestes de My Own Private Idaho de Gus Van Sant. Lupa y fait aussi preuve d’humour dans la déréliction, à l’image de cette truculente scène de déglingue où un garçon et une fille s’enfilent de l’héroïne dans des toilettes crasseuses. Une vision métaphysique des bas-fonds du rêve.
Hugues Le Tanneur
La Salle d’attente d’après Catégorie 3.1 de Lars Norén, mise en scène Krystian Lupa, jusqu’au 2/7 à Lyon, Musée gallo-romain, dans le cadre des Nuits de Fourvière, tél. 04 72 57 15 40
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